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tu prennes la responsabilité de tout ce que nous avons fait. N’est-ce pas ? Ça n’en vaut que mieux pour toi. D’ailleurs, mets-toi carrément en avant. Efface-moi le plus possible, et surtout — tu ne verras, je suppose, aucun inconvénient à ce petit détail, — ne commets pas la bêtise de dire que tu t’es endormi une seule seconde, cette nuit, dans le couloir. D’abord, ça te retomberait sur le dos. Et puis… et puis voilà… Nous sommes d’accord, hein ? Alors il n’y a plus qu’à se quitter. Si le préfet a besoin de moi, comme je m’y attends, qu’on me téléphone, à mon domicile, place du Palais-Bourbon. J’y serai. Adieu. Il est inutile que j’assiste à l’enquête, ma présence y serait déplacée. Adieu, camarade.

Il se dirigea vers la porte du couloir.

— Un instant, s’écria Mazeroux.

— Un instant ? mais…

Le brigadier s’était jeté entre la porte et lui, et barrait le passage.

— Oui, un instant… Je ne suis pas de votre avis. Il est de beaucoup préférable que vous patientiez jusqu’à l’arrivée du préfet.

— Mais je me fiche pas mal de ton avis.

— Ça se peut, mais vous ne passerez pas.

— Quoi ? Ah çà ! mais, Alexandre, tu es malade ?

— Voyons, patron, supplia Mazeroux pris d’une défaillance, qu’est-ce que ça peut vous faire ? Il est tout naturel que le préfet désire causer avec vous.

— Ah ! c’est le préfet qui désire ?… Eh bien, tu lui diras, mon petit, que je ne suis pas à ses ordres, que je ne suis aux ordres de personne, et que si le président de la République, que si Napoléon Ier lui-même, me barrait la route… Et puis, zut, assez causé. Décampe.

— Vous ne passerez pas ! déclara Mazeroux d’un ton résolu et en étendant les bras.

— Elle est rigolote, celle-là.

— Vous ne passerez pas.

— Alexandre, compte jusqu’à dix.

— Jusqu’à cent, si vous voulez, mais vous ne…

— Ah ! tu m’embêtes avec ton refrain. Allons, ouste !

Il saisit Mazeroux par les deux épaules, le fit pirouetter et, d’une poussée, l’envoya buter contre le divan.

Puis il ouvrit la porte.