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dans une sorte de réduit qui servait de toilette au préfet de police.

— Cette nuit ! gémissait-il, croyant qu’on l’entendait et qu’il se trouvait dans le cabinet du secrétaire, cette nuit… le coup est pour cette nuit… Vous verrez…, la marque des dents… quelle horreur !… Comme je souffre !… Au secours ! C’est le poison… Sauvez-moi !

La voix s’éteignit. Il dit plusieurs fois, comme dans un cauchemar :

— Les dents… les dents blanches… elles se referment !…

Puis la voix s’affaiblit encore, des sons indistincts sortirent de ses lèvres blêmes. Sa bouche parut mâcher dans le vide, comme celle de certains vieillards qui ruminent interminablement. Sa tête s’inclina peu à peu sur sa poitrine. Il poussa deux ou trois soupirs, fut secoué d’un grand frisson et ne bougea plus.

Et le râle de l’agonie commença, très bas, d’un rythme égal, avec des interruptions où un effort suprême de l’instinct semblait ranimer le souffle vacillant de l’esprit et susciter dans les yeux éteints comme des lueurs de conscience.

À cinq heures moins dix, le préfet de police entrait dans son cabinet de travail.

M. Desmalions, qui occupait son poste depuis quelques années avec une autorité à laquelle tout le monde rendait hommage, était un homme de cinquante ans, lourd d’aspect, mais de figure intelligente et fine. Sa mise — veston et pantalon gris, guêtres blanches, cravate flottante — n’avait rien d’une mise de fonctionnaire. Les manières étaient dégagées, simples, pleines de bonhomie et de rondeur.

Ayant sonné, il fut aussitôt rejoint par son secrétaire auquel il demanda :

— Les personnes que j’ai convoquées sont ici ?

— Oui, monsieur le préfet, et j’ai donné l’ordre qu’on les fît attendre dans des pièces différentes.

— Oh ! il n’y avait pas d’inconvénient à ce qu’elles pussent communiquer entre elles. Cependant… cela vaut mieux. J’es-