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saurait tarder à arriver. Jusque-là je vous conseille de passer à l’infirmerie et de demander un cordial.

L’inspecteur parut indécis. De nouveau il essuya son front qui dégouttait. Puis, se raidissant, il sortit.

Une fois seul, le secrétaire glissa la lettre dans un dossier volumineux étalé sur le bureau du préfet et s’en alla par la porte qui communiquait avec son cabinet particulier.

Il l’avait à peine refermée que la porte de l’antichambre fut rouverte encore une fois et que l’inspecteur rentra, en bégayant :

— Monsieur le secrétaire… il est préférable que je vous montre…

Le malheureux était blême. Il claquait des dents. Quand il s’aperçut que la pièce était vide, il voulut marcher vers le cabinet du secrétaire. Mais une défaillance le prit, et il s’écroula sur une chaise où il demeura quelques minutes, anéanti, la voix gémissante.

— Qu’est-ce que j’ai ?… Est-ce du poison, moi aussi ? Oh ! j’ai peur… j’ai peur…

Le bureau se trouvait à portée de sa main. Il saisit un crayon, approcha un bloc-notes et commença à griffonner des mots. Mais il balbutia :

— Mais non, pas la peine, puisque le préfet va lire ma lettre… Qu’est-ce que j’ai donc ? Oh ! j’ai peur…

D’un coup il se dressa sur ses jambes et articula :

— Monsieur le secrétaire, il faut… il faut que… C’est pour cette nuit… Rien au monde n’empêchera…

À petits pas, comme un automate, tendu par un effort de toute sa volonté, il avança vers la porte du cabinet. Mais, en route, il vacilla et dut s’asseoir une seconde fois.

Une terreur folle le secoua et il poussa des cris, si faibles, hélas ! qu’on ne pouvait l’entendre. Il s’en rendit compte, et du regard chercha une sonnette, un timbre, mais il n’y voyait plus. Un voile d’ombre semblait peser sur ses yeux.

Alors il tomba à genoux, rampa jusqu’au mur, battant l’air d’une main, comme un aveugle, et finit par toucher des boiseries. C’était le mur de séparation. Il le longea. Malheureusement son cerveau confus ne lui présentait plus qu’une image trompeuse de la pièce, de sorte qu’au lieu de tourner vers la gauche, comme il l’eût dû, il suivit le mur à droite, derrière un paravent qui masquait une petite porte.

Sa main ayant rencontré la poignée de cette porte, il réussit à ouvrir. Il balbutia : « Au secours… au secours… » et s’abattit