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don Luis avec force, Florence n’a jamais aimé ce misérable. Elle ressentait pour lui la pitié que l’on a pour quelqu’un qui est destiné à une mort prochaine, et c’est par pitié qu’elle lui laissa espérer que, plus tard, dans un avenir indéterminé, elle l’épouserait. Pitié de femme, monsieur le président, et fort explicable, puisque jamais, au grand jamais, Florence n’a eu le plus vague pressentiment sur le rôle que jouait cet individu. Le croyant honnête et dévoué, appréciant son intelligence aiguë et puissante, elle lui demandait conseil et se laissait diriger dans la lutte entreprise pour sauver Marie-Anne Fauville.

— Vous êtes sûr de cela ?

— Oui, monsieur le président, sûr de cela et de bien d’autres choses, puisque j’en ai les preuves en main.

Et, tout de suite, sans autre préambule, il ajouta :

— Monsieur le président, l’homme étant pris, il sera facile à la justice de connaître sa vie jusqu’en ses moindres détails. Mais, dès maintenant, cette vie monstrueuse, on peut la résumer ainsi, en ne tenant compte que de la partie criminelle et en laissant de côté trois assassinats qui ne se relient par aucun fil à l’histoire de l’héritage Mornington.

» Originaire d’Alençon, élevé grâce aux soins de M. Langernault, Jean Vernocq fit la connaissance des époux Dedessuslamare, les dépouilla de leur argent, et, avant qu’ils eussent le temps de déposer une plainte contre inconnu, les amena dans une grange du village de Formigny, où, désespérés, inconscients, abrutis par des drogues, ils se pendirent.

» Cette grange était située dans un domaine appelé le Vieux-Château, appartenant à M. Langernault, le protecteur de Jean Vernocq. M. Langernault était malade à ce moment. Au sortir de sa convalescence, comme il nettoyait son fusil, il reçut au bas-ventre toute une décharge de gros plombs. Le fusil avait été chargé à l’insu du bonhomme. Par qui ? Par Jean Vernocq, lequel avait en outre, la nuit précédente, vidé le coffre de son protecteur.

» À Paris, où il vint jouir de la petite fortune ainsi amassée, Jean Vernocq eut l’occasion d’acheter à un coquin de ses amis