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d’un puits, ayant les avant-bras posés sur le rebord et les pieds contre la paroi intérieure, se laisserait choir comme le premier venu ? Voyons, vous étiez à quinze ou vingt mètres, et je n’aurais pas eu la force de remonter d’un bond ni le courage d’affronter les balles de votre revolver, alors justement qu’il s’agissait de sauver Florence Levasseur et de me sauver moi-même ! Mais, mon pauvre monsieur, le plus minime effort eût suffi, soyez-en convaincu. Si je ne l’ai pas tenté, cet effort, c’est que j’avais mieux à faire, infiniment mieux. Et je vais vous dire pourquoi, si toutefois vous êtes curieux de le savoir. Oui ? Apprenez donc, monsieur, que, du premier coup, mes genoux et mes pieds, en s’arc-boutant contre les parois extérieures, avaient démoli, je m’en rendis compte pas la suite, une mince couche de plâtre qui fermait, à cet endroit, une ancienne excavation pratiquée dans le puits. Heureuse chance, n’est-ce pas ? et de nature à modifier la situation. Aussitôt mon plan fut établi. Tout en jouant ma petite comédie du monsieur qui va tomber dans un gouffre, tout en me composant le visage le plus effaré, les yeux les plus écarquillés et le rictus le plus hideux, j’agrandis cette excavation de manière à rejeter les carreaux de plâtre devant moi pour que leur chute ne fît aucun bruit. Le moment venu, à la seconde même où mon visage défaillant disparut à vos yeux, moi, tout simplement, et grâce à un tour de reins qui ne manquait pas d’audace, je sautais dans ma retraite. J’étais sauvé.