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menaçante, redoutable. Et il sentit le frisson de la peur.

Mais est-ce que la peur pouvait retenir un pareil homme ? De ses deux mains, il avait saisi des branches, et doucement tout son corps se frayait un passage.

Il s’arrêta. Un dernier rempart de feuilles le cachait. Il en écarta quelques-unes à hauteur de ses yeux.

Et il vit.

Tout d’abord, ce qu’il vit, ce fut Florence, seule en ce moment, étendue, attachée à trente mètres devant lui, et, comme il se rendit compte aussitôt, à certains mouvements de la tête, qu’elle vivait encore, il éprouva une joie immense. Il arrivait à temps. Florence n’était pas morte. Florence ne mourrait pas. Cela c’était un fait définitif, contre quoi rien ne pouvait prévaloir. Florence ne mourrait pas.

Alors, il examina les choses.

À droite et à gauche de lui, le rideau de lauriers s’incurvait et embrassait comme une sorte d’arène où, parmi des ifs autrefois taillés en cônes, gisaient des chapiteaux, des colonnes, des tronçons d’arcs et de voûtes, visiblement placés là pour orner l’espèce de jardin aux lignes régulières que l’on avait aménagé sur les ruines de l’ancien donjon. Au milieu un petit rond-point auquel on accédait par deux chemins étroits, l’un qui offrait les mêmes traces de piétinement sur l’herbe et qui continuait celui que don Luis avait pris, l’autre qui coupait à angle droit et rejoignait les deux extrémités du rideau d’arbustes.

En face un chaos de pierres écroulées et de rochers naturels, cimentés par de l’argile, reliés par les racines d’arbres tortueux, tout cela formant au fond du tableau une petite grotte sans profondeur, pleine de fissures par lesquelles le jour pénétrait, et dont le sol, que don Luis apercevait aisément, était recouvert de trois ou quatre dalles.

Sous cette grotte, Florence Levasseur, étendue, ligotée.

On eût dit vraiment la victime vouée au sacrifice et préparée pour une cérémonie mystérieuse qui allait s’accomplir sur l’autel de la grotte, dans l’amphithéâtre de ce