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Davanne était prêt, don Luis escalada l’avion. Les paysans poussaient aux roues. L’appareil décolla.

— Nord-nord-est, commanda don Luis. Cent cinquante kilomètres à l’heure. Dix mille francs.

— Nous avons le vent debout, fit Davanne.

— Cinq mille francs pour le vent, proféra don Luis.

Il n’admettait pas d’obstacle, tellement sa hâte était grande de parvenir à Formigny. Il comprenait maintenant toute l’affaire et, en considérant jusqu’à son origine, il s’étonnait que le rapprochement ne se fût jamais opéré dans son esprit entre les deux pendus de la grange et la série des crimes suscités par l’héritage Mornington. Bien plus, comment n’avait-il pas tiré de l’assassinat probable du père Langernault, ancien ami de l’ingénieur Fauville, tous les enseignements que comportait cet assassinat ? Le nœud de l’intrigue sinistre se trouvait là. Qui donc avait pu intercepter, pour le compte de l’ingénieur Fauville, les lettres d’accusation que l’ingénieur Fauville écrivait soi-disant à son ancien ami Langernault ? Qui, sinon quelqu’un du village ou du moins ayant habité le village ?

Et alors tout s’expliquait. C’était le bandit qui, jadis, débutant dans le crime, avait tué le père Langernault, puis les deux époux Dedessuslamare. Même procédé que plus tard : non point le meurtre direct mais le meurtre anonyme. Comme l’Américain Mornington, comme l’ingénieur Fauville, comme Marie-Anne, comme Gaston Sauverand, le père Langernault avait été supprimé sournoisement, et les deux époux Dedessuslamare acculés au suicide et conduits dans la grange.

Et c’est de là que le tigre était venu à Paris où, plus tard, il devait trouver l’ingénieur Fauville et Cosmo Mornington et combiner la tragique affaire de l’héritage.

Et c’est là qu’il retournait !

Sur le retour, aucun doute. D’abord le fait qu’il avait administré à Florence un narcotique constituait une preuve indiscutable. Ne fallait-il pas endormir Florence pour qu’elle ne reconnût pas les paysages d’Alençon et de Formigny, et ce vieux château qu’elle avait exploré avec Gaston Sauverand ! D’autre part, la direction Le Mans-Angers-Nantes, destinée à lancer la police sur une mauvaise voie, n’oblige celui qui va vers Alençon en automobile qu’à un crochet d’une heure ou deux tout au plus, s’il bifurque au Mans.