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Versailles, Maintenon, Chartres…

Don Luis n’était jamais monté en aéroplane. La France avait conquis l’air, tandis qu’il guerroyait à la Légion et dans les sables du Sahara. Pourtant, si sensible qu’il fût à toutes les impressions nouvelles, — et quelle impression plus que celle-là pouvait l’émouvoir ! — il n’éprouva pas la volupté divine de l’homme qui pour la première fois s’affranchit de la terre. Ce qui accaparait sa pensée, tendait ses nerfs et provoquait en son être une excitation magnifique, c’était la vision encore impossible, mais inévitable, de l’auto poursuivie.

Dans tout le formidable fourmillement des choses dominées, dans le tumulte inattendu des ailes et du moteur, dans l’immensité du ciel, dans l’infini de l’horizon, ses yeux ne cherchaient que cela, et ses oreilles ne supposaient pas d’autre bruit que le ronflement de la voiture invisible. Sensations brutales et puissantes du chasseur qui force son gibier à la course ! Il était l’oiseau de proie auquel ne peut échapper la petite bête éperdue.

Nogent-le-Rotrou… La Ferté-Bernard… Le Mans…

Les deux compagnons n’échangeaient pas un seul mot. Devant lui Perenna voyait le dos large et l’encolure robuste de Davanne. Mais, en penchant un peu la tête, il voyait au-dessous de lui l’espace illimité, et nul autre spectacle ne l’intéressait que le ruban de route blanche qui se déroulait de ville en ville et de village en village, tout droit à certains moments, comme s’il eût été tendu, et à d’autres amolli, flexible, cassé par des tournants de rivière ou par l’obstacle d’une église.

Sur ce ruban, il y avait, à tel endroit de plus en plus proche, Florence et son ravisseur !

Il n’en doutait pas ! L’auto couleur orange continuait son petit effort courageux et patient. Les kilomètres s’ajoutaient aux