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frappés dans l’ordre même où il fallait qu’ils fussent frappés pour que l’héritage Mornington fût disponible, meurent Cosmo Mornington, puis Hippolyte Fauville, puis Edmond Fauville, puis Marie-Anne Fauville, puis Gaston Sauverand ! D’abord le détenteur de la fortune, ensuite tous ceux qu’il a institués ses légataires, et, je le répète, dans l’ordre même où le testament leur permettait de prétendre à la fortune !

» N’est-ce pas étrange ? Et comment ne pas supposer qu’il y ait, en tout cela, une pensée directrice ? Comment ne pas admettre que le formidable débat soit dominé par cet héritage, et que, au-dessus des haines et des jalousies de l’immonde Fauville, il y ait un être doué d’une énergie plus formidable encore, poursuivant un but tangible, et conduisant à la mort, comme des victimes numérotées, tous les acteurs inconscients du drame dont il a noué et dont il dénoue les fils ?

» Monsieur le préfet, l’instinct populaire est tellement d’accord avec moi, une partie de la police, le sous-chef Weber en tête, raisonne d’une façon tellement identique à la mienne, que l’existence de cet être s’affirma aussitôt dans toutes les imaginations. Il fallait quelqu’un qui fût la pensée directrice, qui fût la volonté et l’énergie. Ce fut moi. Pourquoi pas, après tout ? N’étais-je point, condition indispensable pour avoir intérêt aux crimes, héritier de Cosmo Mornington ?

» Je ne me défendrai pas. Il se peut que des interventions étrangères, il se peut que les circonstances vous obligent, monsieur le préfet, à prendre contre moi des mesures injustifiées, mais je ne vous ferai pas l’injure de croire, une seconde, que vous supposiez capable de tels forfaits l’homme dont vous avez pu juger les actes depuis deux mois.

» Et cependant, l’instinct populaire a raison de m’accuser, monsieur le préfet. En dehors de l’ingénieur Fauville, il y a fatalement un coupable, et fatalement ce coupable hérite de Cosmo Mornington. Puisque ce n’est pas moi, c’est qu’il existe un autre héritier de Cosmo Mornington. C’est celui-là que j’accuse, monsieur le préfet.

» Il n’y a pas, dans l’aventure sinistre qui se déroule devant nous, il n’y a pas, comme nous avons pu le croire un moment, que la volonté d’un mort. Ce n’est pas tout le temps contre un mort que j’ai