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vement, tout à fait indépendant du lustre, la fera éclater à l’heure dite. À côté, je viens d’enfouir le carnet de toile grise où j’ai soi-disant écrit mon journal, les flacons qui contiennent le poison, les aiguilles qui m’ont servi, une canne d’ébène, deux lettres de l’inspecteur Vérot, enfin, tout ce qui pourrait sauver les coupables. Alors, comment serait-il possible de savoir ? Non, on ne saura rien, et on ne saura jamais rien.

» À moins que… À moins que quelque miracle ne se produise… À moins que la bombe ne laisse les murs debout et le plafond intact… À moins que, par un prodige d’intelligence et d’intuition, un homme de génie, débrouillant les fils que j’ai entremêlés, ne pénètre au cœur même de l’énigme, et ne réussisse, après des mois et des mois de recherches, à découvrir cette lettre suprême.

» C’est pour cet homme que j’écris, sachant bien qu’il ne peut pas exister. Mais, après tout, qu’importe ! Marie-Anne et Sauverand seront déjà au fond de l’abîme, morts sans doute, en tout cas séparés à jamais. Et je ne risque rien de laisser aux soins du hasard ce témoignage de ma haine.

D’une voix saccadée…

» Voilà, c’est fini. Je n’ai plus qu’à signer. Ma main tremble de plus en plus. La sueur coule à grosses gouttes de mon front. Je souffre comme un damné. Et je suis divinement heureux ! Ah ! mes amis, vous attendiez ma mort ! Ah ! toi, Marie-Anne, imprudente ! tu laissais deviner dans tes yeux, qui m’épiaient à la dérobée, toute ta joie de me voir malade ! et vous étiez tellement sûrs, tous deux, de l’avenir, que vous aviez le courage de rester vertueux ! La voici, ma mort. La voici, et vous voilà réunis au-dessus de ma tombe, liés avec les anneaux du cabriolet de fer. Marie-Anne, sois l’épouse de mon ami Sauverand. Sauverand, je te donne ma femme. Unissez-vous. C’est le juge d’instruction qui rédigera le contrat, et c’est le bourreau qui