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» Je suis heureux. La mort que je me donne, c’est le commencement de leur supplice. Alors, à quoi bon vivre et attendre une mort naturelle qui serait pour eux le commencement du bonheur ? Et puisque Edmond devait mourir, pourquoi ne pas lui épargner une lente agonie et pourquoi ne pas lui donner une mort qui doublera le forfait de Marie-Anne et de Sauverand ?

» C’est la fin ! J’ai dû m’interrompre, vaincu par la douleur. Un peu de calme, maintenant… Comme tout est silencieux ! Hors de l’hôtel et dans l’hôtel, des envoyés de la police veillent sur mon crime. Non loin d’ici, Marie-Anne, appelée par ma lettre, accourt au rendez-vous où son bien-aimé ne viendra pas. Et le bien-aimé rôde sous les fenêtres où sa belle n’apparaîtra pas. Ah ! les petites marionnettes dont je tiens les fils. Dansez ! Sautez ! Dieu, qu’elles sont amusantes ! La corde au cou, monsieur et madame, oui, la corde au cou. N’est-ce pas vous, monsieur, qui, le matin, avez empoisonné l’inspecteur Vérot, et qui l’avez suivi au café du Pont-Neuf, avec votre jolie canne d’ébène ? Mais oui, c’est vous ! Et le soir, c’est la jolie dame qui m’empoisonne, et qui empoisonne son beau-fils. La preuve ? Eh bien, et cette pomme, madame, cette pomme où vous n’avez pas mordu et au creux de laquelle, cependant, on trouvera les marques de vos dents ! Quelle comédie ! Sautez ! Dansez !

» Et les lettres ! Le coup des lettres à feu Langernault ! Cela, c’est ma plus admirable prouesse. Ah ! ce que j’y ai goûté de joie, à l’invention et à la construction de ma petite mécanique ! Est-ce assez bien combiné ? N’est-ce pas une merveille d’agencement et de précision ? À jour fixé, pan, la première lettre ! Et puis, dix jours après, pan, la seconde lettre ! Allons, il n’y a rien à faire, mes pauvres amis, vous êtes bien fichus. Dansez ! sautez !

» Et ce qui m’amuse — car je ris en ce moment, — c’est de penser qu’on n’y verra que du feu. Marie-Anne et Sauverand coupables, là-dessus, pas le moindre doute. Mais, en dehors de cela, le mystère absolu. On ne saura rien, et on ne saura jamais rien. Dans quelques semaines, lorsque la perte des deux coupables sera irrévocablement consommée, lorsque les lettres seront entre les mains de la justice, le 25, ou plutôt le 26 mai, à trois heures du matin, une explosion anéantira toutes les traces de mon œuvre. La bombe est placée. Un mou-