Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.

» Pourquoi ? Ah ! sans doute, c’est que la vérité a un accent qui sonne aux oreilles d’une façon particulière. D’un côté toutes les preuves, tous les faits, toutes les réalités, toutes les certitudes ; de l’autre un récit, un récit présenté par un des trois coupables, donc, a priori, absurde et mensonger depuis la première syllabe jusqu’à la dernière… Mais un récit, présenté d’une voix loyale, un récit clair, sobre, d’une trame serrée, se déroulant, d’un bout à l’autre de l’aventure, sans complications ni invraisemblances, un récit qui n’apportait aucune solution positive, mais qui, par sa probité même, obligeait tout esprit impartial à réviser la solution acquise… J’ai cru le récit. »

Les explications de Lupin, telles qu’il me les donnait, n’étaient pas complètes.

— Et Florence Levasseur ? lui dis-je.

— Florence Levasseur ?

— Oui, vous ne concluez pas à son égard. Quelle opinion avez-vous eue d’elle ? Tout l’accusait, et non seulement à vos yeux, puisque logiquement elle avait participé à toutes les tentatives d’assassinat dirigées contre vous, mais aussi aux yeux de la justice. Ne savait-on pas qu’elle allait rendre à Gaston Sauverand, boulevard Richard-Wallace, des visites clandestines ? N’avait-on pas trouvé sa photographie dans le carnet de l’inspecteur Vérot ? Et puis… et puis, tout enfin… vos accusations… vos certitudes… Est-ce que tout cela fut modifié par le récit de Sauverand ? Pour vous, Florence fut-elle innocente ou coupable ?

Il hésita, fut sur le point de répondre directement et franchement à ma question, mais ne put s’y décider et prononça :

— Je voulais avoir confiance. Pour agir, il fallait que j’eusse pleine et entière confiance, quels que fussent les doutes qui pouvaient encore m’assaillir, et quelles que fussent les ténèbres qui pesaient encore