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tour, le légataire venait de se mettre en rébellion ouverte contre la société.

— À merveille, ricana don Luis, voilà la vie telle que je la comprends. La question est simple et s’énonce de diverses façons. Comment un pouilleux, qui n’a pas un sou dans sa poche, peut-il faire fortune en vingt-quatre heures, sans sortir de son bouge ? Comment un général, qui n’a plus de soldats ni munitions, peut-il gagner une bataille qu’il a perdue ? Bref, comment, moi, Arsène Lupin, réussirai-je à assister demain soir à la réunion du boulevard Suchet et à m’y comporter de telle manière que je sauverai Marie-Anne Fauville, Florence Levasseur, Gaston Sauverand, et, par-dessus le marché, mon excellent ami, don Luis Perenna ?

Des coups sourds retentissaient quelque part. On devait chercher sur les toits. On devait interroger les murailles.

Don Luis s’étendit sur le sol, à plat ventre, cacha sa figure entre ses bras croisés, et, fermant les yeux, murmura :

— Réfléchissons.


XI. — Au secours !

Lorsque, par la suite, Arsène Lupin me raconta cet épisode de la tragique aventure, il me dit à ce propos, et non sans fatuité :

— Ce qui m’étonnait alors, et ce qui m’étonne encore aujourd’hui comme une des victoires les plus belles dont j’ai le droit de m’enorgueillir, c’est que j’ai pu admettre tout à coup, et ainsi qu’un problème irrévocablement résolu, l’innocence de Sauverand et de Marie-Anne. Cela, je vous le jure, est de premier ordre et dépasse, en valeur psychologique aussi bien qu’en mérite policier, les plus fameuses déductions des plus fameux détectives.

» Car enfin, tout bien pesé, il ne s’était pas produit l’ombre d’un fait nouveau qui me permît de réviser le procès. Les charges accumulées contre les deux captifs étaient les mêmes, et si graves qu’aucun juge d’instruction n’eût hésité une seule seconde à signer son ordonnance, et pas un jury à répondre oui sur toutes les questions.

» Et cependant pourquoi ce revirement subit qui eut lieu en moi ? Pourquoi ai-je marché contre l’évidence ? Pourquoi ai-je cru à une vérité incroyable ? Pourquoi ai-je admis l’inadmissible ?