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cette Florence entraînée par le destin vers des actes qu’elle exécrait, mais pure de tout crime, sans remords, humaine, pitoyable, les yeux clairs et les mains toutes blanches. Et comme c’était bon de se laisser aller à ce rêve chimérique !

Gaston Sauverand épiait le visage de son ancien ennemi. Tout proche de don Luis, sa physionomie illuminée par l’expression de sentiments et de passions qu’il n’essayait plus de contenir, il murmura :

— Vous me croyez, n’est-ce pas ?

— Non… non… fit Perenna qui se raidissait contre l’influence de cet homme…

— Il le faut, s’écria Sauverand avec une énergie farouche. Il faut que vous croyiez à la force de mon amour. Il est la cause de tout. Marie-Anne est ma vie. Elle morte, je n’ai plus qu’à mourir. Ah ! ce matin, quand j’ai lu dans les journaux que la malheureuse s’était ouvert les veines ! Et par votre faute, à la suite de ces lettres accusatrices d’Hippolyte ! Ah ! ce n’est plus vous égorger que j’aurais voulu, mais vous infliger le plus barbare des supplices. Ma pauvre Marie-Anne, quelle torture elle devait endurer ! Comme vous n’étiez pas de retour, toute la matinée, Florence et moi nous avons erré pour avoir de ses nouvelles, autour de la prison d’abord, puis du côté de la Préfecture et du Palais de justice. Et c’est là, dans le couloir de l’instruction, que je vous rencontrai. À ce moment, vous prononciez le nom de Marie-Anne Fauville devant un groupe de journalistes. Et vous leur disiez que Marie-Anne Fauville était innocente ! Et vous leur donniez communication de votre témoignage en faveur de Marie-Anne !

» Ah ! monsieur, du coup, ma haine tomba. En une seconde l’ennemi devint l’allié, le maître que l’on implore à genoux. Ainsi vous aviez l’audace admirable de répudier toute votre œuvre et de vous consacrer au salut de Marie-Anne ! Je m’enfuis, tout palpitant de joie et d’espoir, et je m’écriai, en rejoignant Florence :

» — Marie-Anne est sauvée. Il la proclame innocente. Je veux le voir. Je veux lui parler.

» Nous revînmes ici. Florence, qui ne désarmait pas, me supplia de ne pas mettre mon projet à exécution avant que votre nouvelle attitude dans l’affaire se fût affirmée par des actes décisifs. Je promis tout ce qu’elle exigea de moi. Mais j’étais résolu. Ma volonté se fortifia encore après