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» Mais il arriva ceci, — les résolutions les plus héroïques ont leurs défaillances, — il arriva qu’un soir, un mercredi soir, vers onze heures, ma promenade me rapprocha du boulevard Suchet, sans que je m’en rendisse compte, et je passai devant la demeure de Marie-Anne. Et le hasard fit qu’à cette même heure, comme la nuit était belle et chaude, Marie-Anne se trouvait à sa fenêtre. Elle me vit, j’en eus la certitude, et elle me reconnut, et mon bonheur fut tel que mes jambes tremblaient sous moi, tandis que je m’éloignais. Depuis, chaque soirée de mercredi, j’ai passé devant son hôtel, et presque chaque fois Marie-Anne, que sa vie mondaine, la recherche toute naturelle de distractions, et la position de son mari obligeaient pourtant à de fréquentes sorties, presque chaque fois Marie-Anne était là, m’accordant cette joie inespérée et toujours nouvelle. »

— Plus vite ! hâtez-vous donc ! articula don Luis que soulevait le désir d’en savoir davantage. Hâtez-vous. Les faits, tout de suite… Parlez !

Voilà que, soudain, il avait peur de ne pas entendre la suite de l’explication, et voilà soudain qu’il s’apercevait que les paroles de Gaston Sauverand s’infiltraient en lui comme des paroles qui n’étaient peut-être pas mensongères. Bien qu’il s’efforçât de les combattre, elles étaient plus fortes que ses préventions et victorieuses de ses arguments. La vérité, c’est que, au fond de son âme tourmentée d’amour et de jalousie, quelque chose l’inclinait à croire cet homme dans lequel il n’avait vu jusqu’ici qu’un rival détesté et qui proclamait si hautement, devant Florence elle-même, son amour pour Marie-Anne.

— Hâtez-vous, répéta-t-il, les minutes sont précieuses.

Sauverand hocha la tête.

— Je ne me hâterai pas. Toutes mes paroles, avant que je me sois résolu à