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s’était souvent préoccupé, à savoir le rapport mystérieux existant entre sa présence, à lui, dans l’hôtel de la place du Palais-Bourbon, et la présence d’une femme qui, manifestement, le poursuivait de sa haine. Aujourd’hui, il comprenait que ce n’était point par hasard qu’il avait acheté cet hôtel. En agissant ainsi, il avait cédé à une offre anonyme qu’on lui avait faite au moyen d’un prospectus dactylographié. D’où venait cette offre, sinon de Florence, de Florence qui voulait l’attirer auprès d’elle pour le surveiller et pour le combattre ?

« Eh oui ! pensa-t-il, la vérité est là. Héritier possible de Cosmo Mornington, mêlé directement à cette affaire, je suis l’ennemi, et l’on cherche à me supprimer comme les autres. Et c’est Florence qui agit contre moi. Et c’est elle qui a tué. Tout l’accuse, et rien ne la défend. Ses yeux purs ? Sa voix sincère ? La gravité et la noblesse de sa personne ?… Et après ?… Oui, après ? N’en ai-je pas vu de ces femmes au regard candide, et qui tuaient sans raison, par volupté presque ? »

Le 15 mai, la faction recommença.

Il tressaillait d’épouvante au souvenir de Dolorès Kesselbach[1]… Quel lien obscur unissait à chaque instant, dans son esprit, l’image de ces deux femmes ? Il avait aimé l’une, la monstrueuse Dolorès, et, de ses propres mains, l’avait étranglée. La destinée le conduisait-elle aujourd’hui vers un même amour et vers un meurtre semblable ?

Quand Florence s’en allait, il éprouvait une satisfaction et respirait plus à l’aise, comme délivré d’un poids qui l’eût oppressé, mais il courait à la fenêtre, et il la regardait traverser la cour, et il attendait encore que passât et repassât la jeune fille dont il avait senti sur son visage l’haleine parfumée.

Un matin, elle lui dit :

— Les journaux annoncent que c’est pour ce soir.

— Pour ce soir ?

  1. Voir 813.