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n’ayez pas entendu le fracas du rideau qui s’abattait, et pas davantage mes appels, le vacarme que j’ai fait.

— J’avais déjà sans doute refermé la porte de ce bureau. Je n’ai rien entendu.

— Alors je dois supposer que quelqu’un se trouvait caché dans mon bureau à ce moment, et que ce personnage a des relations de complicité avec les bandits qui ont commis le double crime du boulevard Suchet, puisque le préfet de police vient de découvrir, sous les coussins de mon divan, le tronçon d’une canne qui appartient à l’un de ces bandits.

Elle eut un air très étonné. Vraiment cette nouvelle histoire semblait lui être tout à fait inconnue. Il s’approcha d’elle et, les yeux dans les yeux, il articula :

— Avouez du moins que cela est étrange.

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Cette série d’événements, tous dirigés contre moi. Hier, ce brouillon de lettre que j’ai trouvé dans la cour — le brouillon de l’article paru dans l’Écho de France ! Ce matin, d’abord l’écroulement du rideau de fer à l’instant même où je passe, et ensuite la découverte de cette canne… et puis… et puis… tout à l’heure, cette carafe d’eau empoisonnée…

Elle hocha la tête et murmura :

— Oui… oui… il y a un ensemble de faits…

— Un ensemble de faits, acheva-t-il avec force, dont la signification est telle que, sans le moindre doute, je dois considérer comme certaine l’intervention directe du plus implacable et du plus audacieux des ennemis. Sa présence est avérée. Son action est constante. Son but est évident. Par le moyen de l’article anonyme, par le moyen de ce tronçon de canne, il a voulu me compromettre et me faire arrêter. Par la chute du rideau, il a voulu me tuer, ou tout au moins me retenir captif durant quelques heures. Maintenant, c’est le poison, le poison qui tue lâchement, sournoisement, et qu’on jette dans mon verre, et qu’on jettera demain dans mes aliments… Et puis ce sera le poignard, et puis la balle de revolver, ou la corde qui étrangle… n’importe quoi… pourvu que je disparaisse, car c’est cela qu’on veut : me supprimer. Je suis l’adversaire, je suis le monsieur dont on a peur, celui qui, un jour ou l’autre, découvrira le pot aux roses et empochera les millions que l’on rêve de voler. Je suis l’intrus. Devant l’héritage Mornington, montant la garde, il y a moi. C’est à mon tour d’y passer. Quatre victimes sont mortes déjà. Je serai la cinquième.