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théâtre, la révélation faite par le chef avant de mourir et l’annonce de cette lettre qui, sans doute, accusait les agresseurs aussi bien que leur victime, produisirent une minute de stupeur. Bournef avait désarmé Essarès. Celui-ci, profitant de ce que la chaise n’était plus maintenue, avait pu replier ses jambes, et personne ne bougeait.

Cependant, l’impression de terreur qui se dégageait de toute cette scène semblait plutôt s’accroître avec le silence. À terre, le cadavre, allongé, et dont le sang coulait sur le tapis. Non loin, la forme inerte de Siméon. Puis le patient, toujours captif devant les flammes prêtes à dévorer sa chair. Et, debout à côté de lui, les quatre bourreaux, hésitant peut-être sur la conduite à tenir, mais dont la physionomie indiquait la résolution implacable de dompter l’ennemi par quelque moyen que ce fût.

Bournef, que les autres consultaient du regard, paraissait déterminé à tout. C’était un homme assez gros et petit, taillé en force, la lèvre hérissée de cette moustache qu’avait remarquée Patrice Belval. Moins cruel en apparence que le chef, moins élégant d’allure et moins autoritaire, il montrait plus de calme et de sang-froid.

Quant au colonel, ses complices ne semblaient plus s’en soucier. La partie qu’ils jouaient les dispensait de toute vaine compassion.

Enfin Bournef se décida, comme un homme dont le plan est établi. Il alla prendre son chapeau de feutre gris déposé près de la porte, en rabattit la coiffe, et sortit de là un menu rouleau dont l’aspect fit tressaillir Patrice. C’était une fine cordelette rouge, identique à celle qu’il avait trouvée au cou de Mustapha Rovalaïoff, le premier complice arrêté par Ya-Bon.