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lement il était hors de doute que c’était bien Essarès bey qui avait été assassiné, que l’on avait son cadavre sous les yeux, et que l’on ne devait plus s’occuper de cette question ! Et, de la sorte, le nouveau Siméon était maître de la situation. Essarès bey est mort, vive Siméon !

Don Luis éclata de rire. L’aventure lui paraissait vraiment amusante, et il jouissait en artiste de tout ce qu’elle supposait d’invention perverse et de génie malfaisant.

— Et tout de suite, poursuivit-il, Essarès, sous son masque impénétrable, se mit à l’œuvre. Le jour même il écoutait à travers la fenêtre entrebâillée votre conversation avec maman Coralie, et, saisi de rage en vous voyant penché sur elle, il tirait un coup de revolver. Puis, ce nouveau crime n’ayant pas réussi, il s’enfuyait et jouait toute une comédie auprès de la petite porte du jardin, criant à l’assassin, jetant la clef par-dessus le mur afin de donner une fausse piste, et se laissant tomber à moitié mort, comme étranglé par l’ennemi qui, soi-disant, avait tiré le coup de revolver. Comédie qui se terminait par la simulation de la folie.

— Mais dans quel but, cette folie ?

— Dans quel but ? Pour qu’on le laissât tranquille, pour qu’on ne l’interrogeât pas, pour qu’on ne se méfiât pas de lui. Fou, il pouvait se taire et rester à l’écart. Sinon, aux premières paroles, Mme Essarès aurait reconnu sa voix, si parfaitement qu’il en eût dissimulé l’intonation.

» Désormais, il est fou. C’est un être irresponsable. Il va et vient à sa guise : c’est un fou ! Et sa folie est une chose tellement admise qu’il vous conduit pour ainsi dire par la main vers ses anciens complices, et que vous les faites arrêter, sans vous demander un instant si ce fou n’agit pas avec la plus claire vision de ses intérêts. C’est un fou, un pauvre fou, un fou inoffensif, et ne laisse-t-on pas