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était évacué sur l’ambulance de l’avenue des Champs-Élysées. Vers la même époque, celle qu’il devait appeler maman Coralie entrait également à cette ambulance comme infirmière.

L’opération du trépan qu’on dut lui faire réussit. Mais il y eut des complications. Il souffrit beaucoup, sans jamais se plaindre, cependant, et en soutenant de sa bonne humeur ses compagnons de misère, qui, tous, éprouvaient pour lui une véritable affection. Il les faisait rire. Il les consolait et les remontait avec sa verve et avec sa manière toujours heureuse d’envisager les pires situations.

Aucun d’eux n’oubliera jamais la façon dont il accueillit un fabricant qui venait lui proposer une jambe articulée.

— Ah ! ah ! une jambe articulée ! Et pour quoi faire, monsieur ? Sans doute pour tromper le monde et pour qu’on ne s’aperçoive pas que je suis amputé, n’est-ce pas ? Par conséquent, monsieur, vous considérez que c’est une tare d’être amputé et que moi, officier français, je dois m’en cacher comme d’une chose honteuse ?

— Pas du tout, mon capitaine. Cependant…

— Et combien coûte-t-elle, votre mécanique ?

— Cinq cents francs.

— Cinq cents francs ! Et vous me jugez capable de mettre cinq cents francs pour une jambe articulée, lorsqu’il y aura cent mille pauvres bougres amputés comme moi, et qui seront contraints d’exhiber leurs pilons de bois ?

Les hommes qui se trouvaient là s’épanouissaient d’aise. Maman Coralie elle-même écoutait en souriant. Et que n’aurait point donné Patrice Belval pour un sourire de maman Coralie ?