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— Remarque bien, poursuivait don Luis, que tu es absolument libre. C’est à toi d’appuyer si le cœur t’en dit. Moi, cela ne me regarde pas. À aucun prix je ne voudrais t’influencer. Non, je ne suis pas là pour te suicider, mais pour te conseiller et te donner un coup de main.

De fait, il avait lâché l’index et ne tenait plus que le bras. Mais il pesait sur Essarès de toute sa volonté et de toute son énergie. Volonté de destruction, volonté d’anéantissement, volonté indomptable à laquelle Essarès ne pouvait se soustraire.

À chaque seconde, la mort entrait un peu plus dans le corps inerte, dissociait les instincts, assombrissait les idées, et apportait un immense besoin de repos et d’inaction.

— Tu vois comme c’est facile. L’ivresse te monte au cerveau. C’est presque de la volupté, n’est-ce pas ? Quel débarras ! Ne plus vivre ! Ne plus souffrir ! Ne plus penser à cet or que tu n’as pas et que tu ne peux plus avoir, à cette femme qui est celle d’un autre et qui va lui donner ses lèvres, tout son être charmant… Tu pourrais vivre avec cette idée ? Tu pourrais t’imaginer le bonheur infini de ces deux amoureux ? Non, n’est-ce pas ? Alors…

Le misérable cédait peu à peu, pris de lâcheté. Il se trouvait en face d’une de ces forces qui vous écrasent, une force de la nature, puissante comme le destin et à laquelle on est contraint d’obéir. Un vertige l’étourdissait. Il descendait dans l’abîme.

— Allons, vas-y… N’oublie pas d’ailleurs que tu es déjà mort une fois… Rappelle-toi… On t’a fait des funérailles en tant qu’Essarès bey, on t’a enterré, mon bonhomme. Par conséquent, tu ne peux reparaître en ce monde que pour appartenir à la justice. Et, bien entendu, je suis là pour