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sarès ! Les belles pièces luisantes que tu convoitais, avec lesquelles tu te serais confectionné une bonne existence douillette, tout cela envolé, disparu… Non, décidément, il vaut mieux disparaître, n’est-ce pas ?

Essarès résistait à peine. Était-ce une sensation d’impuissance ? Ou comprenait-il réellement que don Luis avait raison et que sa vie ne valait plus la peine d’être vécue ? L’arme montait jusqu’à son front. Le canon toucha la tempe.

Au contact de l’acier il frissonna et gémit :

— Grâce !

— Mais non, mais non, dit don Luis, il ne faut pas que tu te fasses grâce. Et moi, je ne t’y aiderai pas ! Peut-être, si tu n’avais pas tué mon pauvre Ya-Bon, peut-être aurions-nous pu chercher encore un autre dénouement. Mais, vraiment, tu ne m’inspires pas plus de pitié que tu n’en as pour toi-même. Tu vas mourir, tu as raison. Je ne t’en empêcherai pas.

»  Et puis, ton passeport est prêt, tu as ton billet dans ta poche. Plus moyen de reculer. On t’attend là-bas. Et tu sais, il ne faut pas craindre de t’ennuyer. As-tu vu quelquefois les dessins qui représentent l’Enfer ? Chacun a sa tombe recouverte d’une dalle énorme, et cette dalle, chacun la soulève et la soutient de son dos pour échapper aux flammes qui jaillissent au-dessous de lui. Un véritable bain de feu. Tu vois, il y a de la distraction. Or, la tombe est retenue. Les flammes jaillissent. Le bain de monsieur est prêt.

Doucement et patiemment, il avait réussi à introduire l’index du misérable sous la crosse, de façon à le poser sur la détente. Essarès s’abandonnait. Ce n’était plus qu’une loque. La mort était en lui.