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— Oui, dans la mort.

— Dans la vie. Vous êtes son fils bien-aimé. Il me parlait de vous avec orgueil.

— C’est un bandit ! un monstre ! grinça l’officier.

— C’est le plus honnête homme du monde, monsieur, et c’est votre père.

Patrice sursauta, fouetté par l’injure sanglante.

— Des preuves, des preuves ! cria-t-il, je te défends de dire un mot de plus avant d’avoir établi la vérité de la manière la plus irréfutable.

Le bonhomme ne bougea pas de son siège. Il avança seulement le bras vers un vieux secrétaire d’acajou dont il abattit le panneau, et dont il ouvrit un des tiroirs en appuyant sur un ressort. Puis il tendit une liasse de papiers.

— Vous connaissez l’écriture de votre père, capitaine, n’est-ce pas ? Vous avez dû conserver des lettres de lui, du temps où vous étiez en Angleterre, dans une école. Eh bien, lisez les lettres qu’il m’écrivait. Vous y verrez votre nom cent fois répété, le nom de son fils, et vous y verrez le nom de cette Coralie qu’il vous destinait. Toute votre existence, vos études, vos voyages, vos travaux, tout est là-dedans. Et vous trouverez aussi vos photographies, qu’il faisait prendre par des correspondants, et des photographies de Coralie auprès de laquelle il s’était rendu à Salonique. Et vous verrez surtout sa haine contre Essarès bey, dont il s’était fait le secrétaire, et ses projets de vengeance, sa ténacité, sa patience. Et vous verrez aussi son désespoir quand il apprit le mariage d’Essarès et de Coralie, et, tout de suite après, sa joie à l’idée que sa vengeance serait plus cruelle lorsqu’il aurait réussi à unir son fils Patrice à la femme même d’Essarès.