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larmes avec des baisers, et ce fut elle-même qui donna ses lèvres à Patrice.

— Ah ! dit-il, tu as raison, c’est vivre que de mourir ainsi.

Un silence infini les baigna. Ils sentirent les premières odeurs de gaz qui descendirent autour d’eux, mais ils n’en éprouvèrent point de terreur.

Patrice chuchota :

— Tout se passera comme autrefois jusqu’à la dernière seconde, Coralie. Ta mère et mon père, qui s’aimaient comme nous nous aimons, sont morts aussi dans les bras l’un de l’autre, et les lèvres jointes. Ils avaient décidé de nous unir, et ils nous ont unis.

Elle murmura :

— Notre tombe sera près de la leur.

Leurs idées se brouillaient peu à peu et ils pensaient, ainsi qu’on voit à travers une brume croissante. Comme ils n’avaient pas mangé, la faim ajoutait son malaise à la sorte de vertige où leur esprit sombrait insensiblement, et ce vertige, à mesure qu’il augmentait, perdait tout caractère d’inquiétude ou d’anxiété. C’était plutôt une extase, une torpeur, un anéantissement, un repos où ils oubliaient l’horreur de n’être plus bientôt.

La première, Coralie fut prise de défaillance et prononça des paroles de délire qui d’abord étonnèrent Patrice.

— Mon bien-aimé, ce sont des fleurs qui tombent, des roses. Oh ! c’est délicieux !

Mais il éprouva, lui aussi, la même béatitude et une même exaltation qui se traduisait par de la tendresse, par de la joie et de l’émotion.

Sans effroi, il la sentit peu à peu fléchir entre ses bras et s’abandonner, et il eut l’impression qu’il la suivait dans un abîme immense, inondé de lumière, où ils planaient tous les deux, en descendant, dou-