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— Mon devoir est de rester auprès de celui que j’aime.

Il fit un effort et lui saisit les mains.

— Ton devoir est de fuir, murmura-t-il, et, quand tu seras libre, de tout tenter pour mon salut.

— Que dis-tu, Patrice ?

— Oui, reprit-il, pour mon salut. Rien ne prouve que tu ne pourras pas t’échapper des griffes de ce misérable, le dénoncer, chercher du secours, avertir nos amis… Tu crieras, tu emploieras quelque ruse…

Elle le regardait avec un sourire si triste et un tel air de doute qu’il s’interrompit.

— Tu essayes de m’abuser, mon pauvre bien-aimé, dit-elle, mais tu n’es pas plus que moi dupe de tes paroles. Non, Patrice, tu sais bien que si je me livre à cet homme, il me réduira au silence et me gardera dans quelque réduit, pieds et poings liés, jusqu’à ton dernier soupir.

— En es-tu sûre ?

— Comme toi, Patrice, de même que tu es sûr de ce qui arrivera ensuite.

— Qu’arrivera-t-il ?

— Voyons, Patrice, si cet homme me sauve, ce n’est pas par générosité. Son plan, n’est-ce pas, une fois que je serai sa captive, son plan abominable, tu le prévois ? Et tu prévois aussi, n’est-ce pas, le seul moyen que j’aurai de m’y soustraire ? Alors, mon Patrice, si je dois mourir dans quelques heures, pourquoi ne pas mourir maintenant, dans tes bras… en même temps que toi, tes lèvres sur mes lèvres ? Est-ce la mort cela ? N’est-ce pas vivre en un instant la plus belle des vies ?