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« Coralie, il sera châtié. Si ce n’est pas par nous, ce sera par la justice divine. Non, son plan infernal ne réussira pas. Non, on ne croira pas que nous avons recouru au suicide pour nous délivrer d’une existence qui n’était que joie et bonheur. On connaîtra son crime. Heure par heure, j’en donnerai ici les preuves irrécusables… »

— Des mots ! Des mots ! s’écria Patrice exaspéré. Des mots de menace et de douleur. Mais aucun fait qui nous guide… Mon père, n’allez-vous rien me dire pour sauver la fille de votre Coralie ? Si la vôtre a succombé, que la mienne échappe au malheur, grâce à vous, mon père ! Aidez-moi ! Conseillez-moi !

Mais le père ne répondait au fils que par d’autres mots d’appel et de désespoir.

« Qui va nous secourir ? Nous sommes murés dans ce tombeau, enterrés vivants et condamnés au supplice sans pouvoir nous défendre. J’ai là, sur une table, mon revolver. À quoi bon ? L’ennemi ne nous attaque pas. Il a pour lui le temps, le temps implacable qui tue par sa seule force, et par cela seul qu’il est le temps. Qui va nous secourir ? Qui sauvera ma bien-aimée Coralie ? »

Situation effrayante et dont ils sentaient toute l’horreur tragique. Il leur semblait qu’ils étaient déjà morts une fois, que l’épreuve, subie par d’autres, c’était eux qui l’avaient subie, et qu’ils la subissaient encore dans les mêmes conditions, et sans que rien leur permît d’échapper à toutes les phases par lesquelles avaient passé les autres — leur père et leur mère. L’analogie de leur sort et du sort de leurs parents était telle qu’ils souffraient deux souffrances et que leur deuxième agonie commençait.