Page:Leblanc - Le triangle d'or, paru dans Le Journal, du 20 mai au 26 juil 1917.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le silence. On est venu, on tue, et l’on s’en va. Bonsoir. Le tour est joué, le camarade ne parlera pas.

La gaieté du capitaine redoubla.

— Le camarade ne parlera pas, reprit-il, et la justice, qui retrouvera son cadavre demain matin dans un jardin clôturé, ne comprendra rien à l’affaire. Et nous non plus, maman Coralie, et nous ne saurons jamais pourquoi ces gens-là voulaient vous enlever. Vrai ! si je ne vaux pas grand’-chose comme gardien de prison, comme policier je suis au-dessous de tout.

Il continuait de se promener d’un bout à l’autre de la pièce. L’amputation de sa jambe, ou plutôt de son mollet, ne paraissait guère le gêner, et provoquait tout au plus à chaque pas, les articulations de la cuisse et du genou ayant gardé leur souplesse, un certain désaccord des hanches et des épaules. D’ailleurs sa haute taille corrigeait plutôt ce défaut d’harmonie, que la désinvolture de ses gestes et l’insouciance avec laquelle il avait l’air de l’accepter, réduisaient en apparence à d’insignifiantes proportions.

La figure était ouverte, assez forte en couleur, brûlée par le soleil et durcie par les intempéries, d’expression franche, enjouée, souvent gouailleuse. Le capitaine Belval devait avoir vingt-huit à trente ans. Il rappelait un peu par son allure ces officiers du Premier Empire auxquels la vie des camps donnait un air spécial, qu’ils gardaient par la suite dans les salons et près des femmes.