Page:Leblanc - Le triangle d'or, paru dans Le Journal, du 20 mai au 26 juil 1917.djvu/169

Cette page a été validée par deux contributeurs.

différente et plus intelligente. Je suppose plutôt qu’il guette le moment où je me coucherai, qu’il épiera mon sommeil, et que seulement alors il entrera, par quelque moyen que j’ignore.

»  D’ici là, j’éprouve une véritable volupté à me sentir sous ses yeux. Il me hait, et nos deux haines vont à l’encontre l’une de l’autre, comme deux épées qui se cherchent et qui battent le fer. Il me regarde, comme une bête fauve, tapie dans l’ombre, regarde sa proie et choisit la place où ses crocs mordront. Mais moi, je sais que c’est lui qui est la proie, vouée d’avance à la défaite et à l’écrasement. Il prépare son couteau ou sa cordelette rouge. Et ce sont mes deux mains qui termineront la bataille. Elles sont fortes, vigoureuses déjà. Elles seront implacables… »

Patrice rabattit le cylindre. Puis il alluma une cigarette, qu’il fuma tranquillement, comme chaque soir. Puis il ôta ses habits, les plia avec soin sur le dossier d’une chaise, remonta sa montre, se coucha, éteignit l’électricité.

— Enfin, se disait-il, je vais savoir. Je vais savoir qui est cet homme. Un ami d’Essarès ? Le continuateur de son œuvre ? Mais pourquoi cette haine contre Coralie ? Il l’aime donc, puisqu’il cherche à m’atteindre, moi aussi ? Je vais savoir… je vais savoir…

Une heure s’écoula pourtant, puis une autre heure, et rien ne se produisit du côté de la fenêtre. Un seul craquement, qui eut lieu du côté du bureau. Mais c’était sans doute un de ces craquements de meuble que l’on entend la nuit dans le silence.

Patrice commença à perdre le bel espoir