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de blessé, tout mutilé et tout balafré qu’il fût. Tais-toi, ne proteste pas. Oui, je me rends compte… cela t’offusque un peu d’entendre de telles paroles aujourd’hui. J’aurais dû patienter peut-être… Pourquoi ? Je ne te demande rien. Je sais. Cela me suffit. Je ne t’en parlerai plus avant longtemps, avant l’heure inévitable où tu seras forcée de me le dire toi-même. Jusque-là je garderai le silence. Mais il y aura entre nous ceci, notre amour, et c’est délicieux, maman Coralie. C’est délicieux de savoir que tu m’aimes, Coralie… Bon ! voilà que tu pleures maintenant ! Et tu voudrais nier encore ? Mais quand tu pleures, maman, je te connais, c’est que tout ton cœur adorable déborde de tendresse et d’amour. Tu pleures ? Ah ! maman, je ne croyais pas que tu m’aimais à ce point !

Lui aussi, Patrice, il avait les larmes aux yeux. Celles de Coralie coulaient sur ses joues pâles, et il eût voulu baiser ces joues mouillées. Mais le moindre geste d’affection lui paraissait une offense en de telles minutes. Il se contentait de la regarder éperdument.

Et comme il la regardait, il eut l’impression que la pensée de la jeune femme se détachait de la sienne, que ses yeux étaient attirés par un spectacle imprévu, et qu’elle écoutait, dans le grand silence de leur amour, une chose qu’il n’avait pas entendue, lui.

Et soudain, à son tour, il l’entendit, cette chose, bien qu’elle fût pour ainsi dire imperceptible. C’était, plutôt qu’un bruit, la sensation d’une présence qui se mêlait aux rumeurs lointaines de la ville.