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LE RAYON B
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Mais rien n’avait retenu l’élan formidable de la curiosité. Confiants ou non, les gens voulaient être là. D’ailleurs il faisait beau. Le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Pourquoi ne pas s’abandonner à cette allégresse un peu anxieuse qui soulevait l’âme de la foule ?

Tout était prêt. En quelques semaines, grâce à une activité prodigieuse et à un esprit d’organisation remarquable, Théodore Massignac avait complété et mis au point, avec l’aide des architectes et des entrepreneurs, et selon les plans élaborés, l’œuvre de Noël Dorgeroux. Il avait recruté un personnel nombreux, beaucoup d’hommes surtout, de carrure solide, largement payés, m’avait-on dit, et chargés de maintenir l’ordre. Quant à l’amphithéâtre, bâti en ciment armé, il était complètement aménagé, bien compris d’ailleurs et confortable.

Douze rangs de fauteuils, munis de coussins mobiles, entouraient un parterre qui montait en pente douce et s’étageait sur douze gradins disposés en un demi-cercle de large ouverture. Puis il y avait un pourtour de loges spacieuses, et, derrière, un promenoir, dont le plancher, somme toute, ne dépassait guère le sol que de trois ou quatre mètres. En face, le mur…

Il était très détaché de l’hémicycle, érigé sur une première assise, puis séparé des spectateurs par l’emplacement vide d’un orchestre. De plus, une grille de fer, de la hauteur d’un homme, en défendait l’approche, tout au moins dans sa partie centrale, mais une grille sérieuse, avec lances acérées et barreaux de traverse formant des mailles trop étroites pour qu’on y pût passer le bras.

La partie centrale, c’était l’écran, élevé ainsi à peu près au même niveau que le quatrième ou le cinquième gradin. Deux pilastres, dressés à huit ou dix mètres l’un de l’autre, le limitaient et soutenaient un portique en saillie. À ce moment, tout cet espace était masqué par un rideau de fer, hâtivement peinturluré de paysages criards et de perspectives maladroites.

À cinq heures et demie, il n’y avait plus une place libre, et pas un coin qui ne fût occupé. La police avait ordonné la fermeture des grilles. La foule commençait à s’impatienter, et l’on sentait en elle, dans le bourdonnement de ses mille voix et de ses rires, un certain énervement.

— Si cela rate, dit un de mes voisins, il y aura du grabuge.

Je m’étais réfugié, avec quelques journalistes que je connaissais, dans le promenoir, au milieu d’une multitude bruyante, et d’autant plus hargneuse qu’elle n’avait point ses aises comme le public des fauteuils.

Un autre journaliste, toujours bien renseigné, et auquel j’avais eu souvent affaire en ces derniers temps, répondit :

— Oui, il y aura du grabuge, mais le danger pour l’estimable Massignac ne vient pas de là surtout. Il risque davantage.

— Quoi ? demandai-je.

— Son arrestation. Si la curiosité universelle, qui l’a soutenu jusqu’ici, autant et plus que le manque de preuves, est satisfaite, ça va bien. Sinon, en cas d’échec, la paille humide. Le mandat est signé.

J’eus un frisson. Massignac arrêté, quelle menace pour Bérangère !

— Et soyez sûr, reprit mon interlocuteur, qu’il n’ignore pas ce qui lui pend au nez, et qu’au fond de lui il n’en mène pas large.

Une rumeur plus forte avait monté de la foule. En bas, Théodore Massignac traversait le parterre et franchissait l’espace vide de l’orchestre. Il était accompagné par une douzaine de ces gaillards solides qui composaient le personnel mâle de l’amphithéâtre. Il les installa sur deux banquettes qui leur étaient évidemment destinées, et, de l’air le plus naturel, leur donna ses instructions. Et sa mimique indiquait si clairement le sens des ordres donnés, cela signifiait si nettement ce qu’ils auraient à faire au cas où l’on essayerait d’approcher du mur, qu’une clameur de protestation s’éleva.