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— Qu’elles sont jolies ! Vous n’êtes pas trop fatiguée ?

— Tu me demandes cela tous les jours. Tu sais bien que le manoir d’Annilis n’est qu’à une heure.

— Ça fait deux, aller et retour.

— Que veux-tu ? Le vieil âne est mort.

— Votre père avait promis d’en acheter un autre.

— On a déjà assez de mal à joindre les deux bouts. Sais-tu qu’il pleut dans ma chambre, au manoir ?

— Et ici donc ! Tout tombe en ruine depuis le décès de notre chère dame de Plouvanec’h. Plus de fermiers, plus de domestiques. Plus que moi, le vieux Geoffroi, qui garde la dernière tour ! Moi, ancien maître d’armes, ancien adjudant ! C’est-il pas triste ?

— Rien n’est triste à Plouvanec’h.

— Peuh ! des pans de mur et du lierre !

— Oui, mais c’est le plus beau château de la région !

Tout en poursuivant le dialogue, Armelle d’Annilis arriva sur le palier et remit des fleurs à Geoffroi. C’était bien la personne que Nathalie et Maxime avaient vue de dos, un peu trop grande, un peu trop forte, surannée de mise et de coiffure, mais avec un joli visage sain, des joues éclatantes et un beau sourire. En apercevant Nathalie et Maxime, elle dit :

— Pardonnez-moi, madame…

— Mademoiselle, rectifia Nathalie. Et voici mon cousin.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, reprit Armelle, je ne savais pas qu’il y avait des promeneurs. Je bavardais à tort et à travers.

Elle noua un tablier autour de sa taille, remplaça les fleurs des vases, épousseta et rangea la table.

Maxime s’approcha.

— Mademoiselle d’Annilis, n’est-ce pas ? Nous sommes venus ici, d’abord pour visiter les ruines, et aussi parce que ce nom de Plouvanec’h nous est connu. Nous avons rencontré à Paris, il y a quelques années, un Plouvanec’h.

— Ce n’est pas le nôtre, monsieur, dit-elle. Jean de Plouvanec’h est mort à la guerre en septembre 1914. Et je dois dire que c’était le dernier du nom, et que personne n’a le droit de s’appeler Plouvanec’h.

— Ce monsieur, ajouta Maxime, se disait en outre prince… prince de je ne sais pas quoi…

Armelle déclara :

— Il n’y a pas de princes à dix lieues à la ronde.

— Si, affirma Geoffroi. Parmi ses titres, Jean de Plouvanec’h avait celui de prince. Un jour, où il rangeait ce tiroir-là, il m’a montré un vieux parchemin où ses ancêtres étaient désignés de la sorte.

Armelle plaisanta :

— Ah ! mon bon Geoffroi, tu peux quelquefois t’embrouiller, ou même, à l’occasion, radoter un peu. Mais quand il s’agit de ton maître et de ton château, tu te remets bien vite d’aplomb.

— Je l’avais pour ainsi dire élevé, fit le vieillard. Ses leçons d’escrime, de tir, de nage, de cheval… j’ai tout dirigé. Ah ! un rude homme, quand il est parti à la guerre !

— Quel âge aurait-il maintenant ? demanda Nathalie.