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ville, de violer, de massacrer, de torturer, de piller… un brigand du moyen âge !

— Je ne vous le présente pas comme un archange. Mais, tout de même, l’homme qui se fait pirate à notre époque, et qui, avec un vieux croiseur anglais, paraît-il, volé en Turquie, terrifie tout le vieux monde latin, avouez que cet homme-là a du relief !

Forville haussa les épaules. Cependant le docteur Chapereau, que la véhémence de Nathalie avait amusé, reprit :

— Eh bien, moi, si vous voulez du fabuleux et de l’extravagant, tout en restant en pleine réalité, j’ai un héros plus extraordinaire à vous offrir, Nathalie.

— Plus extraordinaire que Jéricho ?

— Beaucoup plus.

— Allons donc !

— Comme j’ai l’honneur de vous le dire. Jéricho est un mythe, un personnage déformé par l’imagination… tandis que mon héros se tient d’aplomb sur ses jambes.

— Et comment s’appelle-t-il, votre héros ?

— Le baron d’Ellen-Rock.

— Ellen-Rock ? Mais ce n’est pas un nom ! C’est celui d’un jardin, le jardin féerique qui se trouve au promontoire d’Antibes.

— En tout cas, c’est celui qui sert à le désigner.

— Mais comment s’appelle-t-il réellement ?

— Tout le monde l’ignore, et lui tout le premier.

— Quoi ! Votre héros ignore son nom ?

— Parfaitement.

— Mais alors, qu’est-ce que c’est, cet individu ?

— Un individu qui a perdu son passé.


II

L’homme qui a perdu son passé

On s’empressa autour du docteur Chapereau. Nathalie était avide d’en savoir davantage. Maxime se rappela qu’on lui avait parlé de ce bizarre personnage, et les sœurs Gaudoin l’avaient aperçu un jour à Nice, sur la promenade des Anglais, au milieu d’une foule de gens qui cherchaient à le voir.

— Ce que je vais vous dire ou plutôt résumer, commença le docteur, ne tient pas de la légende et ne repose pas sur des racontars comme dans le cas de Jéricho. C’est, je vous le répète, si étrange que cela soit, de la réalité. Je suis au courant de l’histoire, non pas par des inconnus, mais par un des témoins qui y furent mêlés de la façon la plus directe… un de mes confrères, retraité comme moi, et mon voisin de campagne, le docteur Verlage.

» Donc, il y a quelque vingt ou vingt-deux mois, le paquebot de la Compagnie Orientale arrivait d’Indochine et passait au large de Nice. La mer était maussade, et la visibilité, par suite des nuages, très mauvaise. Or l’officier de quart signala, un peu avant que l’on atteignît la pointe