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Il marcha vers elle, hors de lui.

— Peur de ce bandit ? Certes non. Mais je me rends compte de ce qu’il est pour vous, Nathalie. Si vous êtes menacée, c’est lui que vous appelez au secours ! C’est son nom qui vous vient à la bouche ! Et vous osez dire qu’il vous est indifférent ?

Il suffoquait, la voix haletante et le visage mauvais. Nathalie sonna.

— Hein ! que faites-vous ? s’écria Forville.

Elle redoubla de rire.

— Rassurez-vous. Ce n’est pas lui que je sonne. C’est ma femme de chambre.

— Dans quelle intention ?

— Mon Dieu, pour vous montrer le chemin qui mène à la porte.

— Oh ! ne faites pas cela, mâchonna-t-il rageusement.

La bonne frappait. Nathalie hésita. Mais il suffisait qu’elle ne fût pas seule et que Forville le sût, et, ouvrant la porte, elle dit simplement :

— Suzanne, téléphonez au garage et faites venir mon automobile pour quatre heures.

— Bien, madame.

À son tour, elle voulut entrer chez elle. Forville, plus calme en apparence, essaya de s’interposer.

— Vous ne me pardonnerez jamais, n’est-ce pas ?

Elle répliqua d’un geste dédaigneux :

— Pourquoi pas ? Vous avez été ridicule, voilà tout.

— Donc, je vous reverrai ?

— Mon Dieu, je ne puis pas m’engager.

Il insista :

— Si, précisément, vous pouvez vous engager… Je désire un engagement, ou du moins une réponse précise, et je vous demande si, oui ou non, je vous reverrai ?

— Non, fit-elle, en demeurant sur le seuil.

Il s’emporta de nouveau.

— À cause de cet homme, n’est-ce pas ? À cause de ce misérable ?… Un instant, Nathalie. Nous ne pouvons pas nous quitter ainsi… Nous n’avons pas dit tout ce qu’il fallait dire.

— Absolument tout.

— Restez, Nathalie, sinon l’entretien recommencera, et dans des conditions moins favorables pour vous, je vous le jure !…

— Je ne vous crains pas.

— Parce qu’il vous protège sans doute, n’est-ce pas ?

— Oui.

Elle lui ferma la porte au nez. Il entendit le bruit de la clef qu’elle tournait et du verrou qu’elle poussait.

— Ah ! tant pis pour toi ! murmura-t-il, en levant le poing comme s’il voulait briser le panneau de bois. Je n’étais pas encore tout à fait résolu à agir. Mais tant pis pour toi ! Ce qui va se passer, c’est bien toi qui l’auras voulu.

En s’en allant, il aperçut le portrait d’Ellen-Rock sur la page du journal, et il se dit :

— Et puis, en tout état de cause, il est temps d’en finir. Ce coquin-là travaille dans l’ombre, je ne sais trop à quoi, et, si je ne veux pas me laisser distancer…

Il sortit.

Des taxis stationnaient. Il fit signe à un chauffeur, monta et donna l’ordre :

— Versailles, par la route de Ville-d’Avray.

Le taxi s’en alla. Un jeune homme, coiffé d’une casquette, engoncé dans son pardessus, et qui semblait posté le long du trottoir, surprit la phrase. Il courut vers une automobile qui attendait dans une rue voisine et où se trouvait un homme.

— Nous avions bien deviné que le coup était fixé à aujourd’hui, Ellen-Rock.

— Il est parti pour Versailles ?

— Oui.

— Tout va bien. Et par quelle route ?

— Ville-d’Avray.

— Prenons par Sèvres. Nous arriverons avant lui.

Et le baron d’Ellen-Rock ajouta :

— Ah ! Maxime, voilà une expédition qui me plaît. Sans compter que c’est un pas de plus vers la vérité !…



II

Et d’un !…

Muriel Watson était une des rares amies de Nathalie, amie de voyage et amie de palace, qu’elle avait toujours plaisir à retrouver. Depuis quelques jours, elle était prévenue de son arrivée prochaine à Paris. Le matin, Muriel lui avait fait téléphoner de Versailles, où elle se trouvait dans une maison du boulevard de la Reine qu’elle venait de louer pour l’été.