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heure du matin, à Nice, deux agents cyclistes, qui débouchaient de la pointe du Vieux-Château, furent attirés par le bruit d’une querelle au long des quais. Ils arrivèrent au moment où un homme s’écroulait en gémissant, tandis qu’un autre, celui qui avait frappé, s’enfuyait. Poursuivi par les agents, celui-ci sauta dans une barque montée par plusieurs matelots et dont le moteur était sous pression. À la faveur de la nuit, cette barque put sortir du port et disparut.

» Quant au blessé, il avait reçu un coup de poignard entre les deux épaules et respirait à peine. Transporté dans la pharmacie la plus voisine, il fut interrogé et se mit à prononcer des phrases haletantes, précipitées, comme s’il eût voulu dire en hâte ce qu’il avait à dire. On les nota pêle-mêle au fur et à mesure que l’agonisant les balbutiait, et l’on put ainsi reconstituer son histoire.

»  Il s’appelait Ahmed. Il était turc. Cinq ans auparavant, il avait été engagé à Smyrne par un Corse du nom de Boniface, qui était le lieutenant principal du pirate Jéricho. Il avait ainsi participé à toutes les expéditions de la bande et ramassé quelque argent. On voyait peu Jéricho, qui dirigeait les opérations de loin, transmettant ses ordres au major Boniface, comme on l’appelait. Les affaires, depuis quelque temps, allaient mal. Pour cette nuit, on avait filé sur deux barques jusqu’à l’Esterel, au pied d’une villa où demeurait une étrangère très riche. Le coup était bien préparé et l’on comptait sur un butin considérable. Comme d’habitude, le major Boniface avait pris les devants en compagnie d’un camarade appelé Ludovic et d’une chanteuse italienne, tous trois camouflés en musiciens ambulants. À huit heures et demie, le signal avait été donné. Mais, tout de suite, sur la terrasse de la villa, un grand feu s’allumait et la cloche d’alarme sonnait. Alors on faisait demi-tour et l’on s’en allait jusqu’à Nice où Boniface devait revenir par le train. Ahmed, furieux de l’échec, pris de boisson sans doute, attendit Boniface sur le quai, l’accusa de trahison et lui réclama sa part de butin. Querelle, rixe, et, finalement, meurtre.

»  — Une canaille, marmottait Ahmed dans son délire… une brute… il m’a tout volé… une charogne…

»  Et il mourut en injuriant son chef.

»  Toute la journée, achevait l’article, des recherches ont été poursuivies, principalement dans le port et dans les rades et les villages des environs. Elles n’ont donné aucun résultat. En tout cas, un fait est certain : la bande de Jéricho s’est montrée sur la côte de l’Esterel. On doit savoir déjà le nom de la villa qui fut assiégée. Dès demain, le parquet s’y rendra. »

— Eh bien, qu’en dites-vous, Nathalie ? s’écria Forville, dès que la lecture fut terminée.

Maxime triompha, sans la moindre modestie.