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Comprenez bien qu’ils ont dû correspondre avec leurs complices, les chanteurs italiens, et qu’ils savent que vous êtes seule ici, sans domestiques.

— Oui, ils me croient seule… et les voilà qui viennent… Oh ! dit-elle, entendez-vous ?…

— Oui, fit-il, c’est le grincement d’une barque sur le galet… L’un d’eux vient de sauter… Ils ne sont pas à quarante mètres de nous.

— Quelle chose effrayante ! gémit-elle.

Il se tourna vers elle et tâcha de la discerner dans l’ombre.

— Votre voix tremble un peu. Si vous êtes inquiète, si votre cœur bat plus fort, dites-le moi franchement.

— C’est un cœur de femme… il bat très fort… et alors, n’est-ce pas ?

Elle chancela. Il dut la soutenir un instant, et, comme elle se redressait aussitôt, il s’excusa :

— Oh ! pardonnez-moi… Je ne pensais qu’à mon plaisir, et j’oubliais que les nerfs des femmes ne doivent pas être trop tendus… D’ailleurs, l’instant est venu et ces bougres-là ne nous manqueraient pas si nous nous laissions prendre au dépourvu.

— Certainement, fit Nathalie, ils ne nous manqueraient pas…

Il se décida soudain, et aussitôt l’obligation d’agir le transforma… Il se mit à rire et, sans plus étouffer le son de sa voix, il parla joyeusement, tout en inspectant la terrasse.

— Voyons, comment procéder ? Les arquebuses de votre ami Maxime, la poix bouillante… un peu primitif, n’est-ce pas ? et douteux comme résultat ? Non, le mieux est d’empêcher l’attaque…

— Oui, le mieux est d’empêcher l’attaque. Mais vous le pouvez ? dit Nathalie.

— On peut toujours… il suffit d’être adroit…

— Hâtez-vous.

— Bah ! nous avons le temps… Trente ou quarante secondes.

— Pas davantage ? Est-ce possible ! Hâtez-vous…

Nathalie comptait les secondes en elle-même, et à chacune il lui semblait que les agresseurs faisaient un bond en avant.

— Oh ! je vous en supplie… Je vous en supplie… Je suis à bout de forces. Est-ce que vous croyez… ?

— Je crois, dit-il, que c’est moi maintenant qui mène la bataille, et que ce n’est plus eux. Or, c’est celui qui mène la bataille qui la gagne.

Il avait recueilli sur une table du salon une liasse de journaux qu’il froissa, les uns après les autres, qu’il mit en boules et qu’il jeta près du parapet de manière à faire un tas de papier. Puis il demanda de l’alcool. Nathalie retrouva un peu d’énergie et se précipita dans la salle à manger d’où elle revint avec une bouteille.

— Fine champagne 1896, parfait ! s’écria-t-il. Allons-y pour le punch.

Il versa, alluma avec son briquet et jeta pêle-mêle dans le bûcher tout ce qu’il put trouver, deux boîtes de cigares, un panier à ouvrage, un