Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’alarmer, mais qu’il ne faut pas négliger absolument. Avez-vous l’intention de rester, mademoiselle ?

Elle répondit :

— Pourquoi partirai-je ? À cause de cette vague menace ?…

— Oui.

— Je ne pars pas.

— En ce cas, me permettez-vous de rester aussi ? Il est sept heures et quart. Dans deux heures, si rien ne s’est produit, comme je le suppose, je m’en irai.

— Je vous remercie, fit-elle. Nous dînerons tous les trois.

Ils se turent assez longtemps. Ellen-Rock avait appuyé sa haute silhouette contre un des piliers de la pergola, et il regardait les nuages rouges qui s’assombrissaient. Il murmura :

— Que c’est beau !

Aussitôt Nathalie reprit, de peur qu’un nouveau silence ne s’établît entre eux :

— Oui, c’est vraiment beau ! Et je me dis qu’il doit y avoir en vous certaines réminiscences… certaines impressions qui remontent à la surface… et qui éclosent devant de pareils spectacles.

— En effet, dit Ellen-Rock.

— N’est-ce pas ? Vous vous rappelez des heures comme celle-ci ?

— Peut-être, prononça-t-il. En tout cas, aucune heure n’a jamais dû me paraître aussi belle… sans quoi je me souviendrais.

Nathalie réprima un frisson. Était-ce la fraîcheur du soir ? Était-ce l’obscurité croissante ? Elle dit :

— La nuit vient. Il va falloir allumer les lampes.

Il riposta :

— Pas encore.

Ce fut dit d’un ton net qui offusqua Nathalie. N’admettant pas qu’on la commandât, elle sonna le maître d’hôtel.

— Allumez, Dominique, dit-elle, en désignant une haute lampe à pétrole dressée sur un guéridon.

Mais, comme Dominique en préparait une autre sur la terrasse, Ellen-Rock l’en empêcha :

— Plus tard. Il y a assez de lumière.

— J’aurais préféré… insinua Nathalie.

— Je vous en prie. Il vaut mieux qu’aucune clarté n’apparaisse.

Elle céda d’un coup et dit au maître d’hôtel :

— Vous pouvez vous retirer, Dominique.

Dominique ne bougea pas. Il était visible qu’il avait quelque chose à dire. Elle l’interrogea :

— Qu’y a-t-il donc ? Qu’attendez-vous ?

— Mademoiselle m’excusera, répondit le domestique avec embarras, mais nous avons surpris des manigances qui nous inquiètent… Et puis, M.  Maxime nous a mis au courant.

— Au courant de quoi ?

— De l’attaque qui va avoir lieu tout à l’heure.

— Quelle attaque ? Il n’y aura pas d’attaque.

La femme de chambre, Suzanne,