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Mirador. Est-ce cette villa qu’ils veulent piller ? À tout hasard, j’ai pris mon canot automobile, et me voici.

— Mais oui, mais oui, s’écria Maxime, c’est Mirador le but de leur expédition. Il n’y a pas moyen de se dérober à une pareille évidence.

Nathalie et les sœurs Gaudoin se taisaient. Forville continua de railler.

— C’est un peu vague comme donnée, et il est fort probable…

— Que mes craintes sont vaines, dit Ellen-Rock. C’est mon avis. Mais tout de même, par excès de précaution, j’ai voulu venir et me rendre compte si l’on pouvait, au besoin, escalader cette falaise. C’est difficile, mais, comme vous le voyez, possible.

Il reprit sa casquette, s’inclina et, comme un homme qui a terminé sa tâche, se dirigea vers le parapet.

— Mais vous ne vous en allez pas, monsieur ? dit Nathalie.

— Mon Dieu, mademoiselle…

— Et par le même chemin ?

— Mon canot est tout près d’ici, et…

— Je vous en prie, il y a un autre sentier, et nous vous conduirons, Maxime et moi.

Le docteur proposa :

— S’il y avait le moindre danger pour vous, Nathalie, nous pourrions, Forville et moi, ne partir que demain.

— Certes, dit Forville, mais il serait vraiment enfantin de prendre cette histoire au sérieux.

Les deux sœurs insistèrent :

— Vous n’avez pas peur, Nathalie ?

— Peur de quoi ? s’écria-t-elle en riant. Mais vous êtes absurdes. Dépêchez-vous. Le soleil se couche déjà.

Forville observa le baron d’Ellen-Rock. Le personnage lui était profondément antipathique. Il essaya de prendre Nathalie à part et de la mettre en garde. Mais celle-ci ne se prêta pas à son manège, et elle les poussa tous vers le jardin, où l’auto de Forville attendait, devant le perron.

— Janine, dit-elle, je vous envoie chercher toutes deux demain, n’est-ce pas ? Quand se revoit-on, Forville ? Je serai à Paris dans quinze jours.

— Vous m’y trouverez, dit Forville.

Elle embrassa le docteur.

— Et vous, cher docteur ?

— Oh ! moi, répliqua celui-ci, je n’y serai pas avant cinq ou six semaines. J’ai une tournée de conférences en Allemagne et en Suède.

Elle les fit partir vivement. Elle avait hâte de retourner sur la terrasse.

Lorsqu’elle revint, les deux hommes causaient près du parapet. On vit l’auto qui disparaissait à droite au tournant d’une route encaissée.

— Alors, monsieur, prononçait Maxime Dutilleul, non sans quelque inquiétude, vous affirmez qu’il n’y a pas même l’ombre d’un danger ?

— Je ne le crois sincèrement pas, dit Ellen-Rock. Mais il faut toujours prévoir le pire.

— N’est-ce pas ? dit Maxime, qui cherchait à plaisanter pour se donner du cœur. Aussi ai-je proposé des moyens de défense. Vous voyez, Nathalie, que je n’avais pas tort, et que ma poix bouillante et mes arquebuses ne seront peut-être pas inutiles.

— Ah ! dit Ellen-Rock, vous aviez quelque pressentiment, monsieur ?

— Mais oui, déclara Maxime, je me méfie de Jéricho. Il est hors de doute qu’il opère sur la côte, et ce que vous avez entendu tantôt nous le confirme. De plus, il y a eu cet incident des chanteurs italiens… Ah ! quelle imprudence, Nathalie !

Ellen-Rock s’étonna et interrogea.

— Quels chanteurs ?

— Une troupe ambulante que Mlle  Manolsen a fait entrer dans le jardin tantôt… Est-ce que vous voyez là quelque indice ?

Il y eut un silence. Puis Ellen-Rock murmura :

— Mes Espagnols du jardin public ont parlé de chanteurs italiens qui devaient passer près de la villa.

— Hein ! Qu’est-ce que vous dites ? fit Maxime.

Ellen-Rock précisa :

— Ils ont parlé d’une femme et de deux hommes.

— Une femme et deux hommes, c’est bien ça, balbutia Maxime.

Il s’écroula sur un fauteuil.

Nathalie était un peu pâle.