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Les deux magistrats attendirent le retour du médecin-légiste. Boisgenêt envoya des télégrammes aux familles et amis du comte et de la comtesse. Il se chargeait d’organiser les funérailles, puis de fermer le château. Les scellés allaient y être apposés. Dans la chambre où les deux morts étaient étendus l’un près de l’autre, Christiane, à genoux, priait. Elle et son mari avaient décidé de passer la nuit au château. Lorsqu’elle écartait les mains de ses yeux, on voyait sa figure baignée de larmes.

Bernard Debrioux, les deux magistrats et Boisgenêt, restaient dans la bibliothèque. M.  Rousselain dit à Boisgenêt :

« Vous savez, monsieur, que mon devoir serait de vous inculper ?

— Hein ? dit le vieux garçon terrifié.

— Dame ! complicité d’assassinat.

— Comment ! complice, moi ? complice d’un homme dont j’ignorais le crime ?

— Dont vous connaissiez le crime, M.  Boisgenêt. Vous n’avez pas vu le coup de poignard, peut-être, mais l’attitude de M.  d’Orsacq vous a renseigné, et l’accord entre vous deux fut immédiat. Vous avez recouvert la victime d’une couverture et vous avez empêché qu’on ne la touchât. Sans quoi, on n’eût pas manqué de voir que le meurtre venait d’être commis. Donc, complicité effective. Par-dessus le marché, faux témoignage en ce qui concerne Gustave. Votre cas n’est pas bon.

— Mais, voyons, monsieur le Juge d’instruction, il serait inadmissible…

— Allons, ne vous frappez pas. L’action publique se trouve éteinte par suite du décès de M.  d’Orsacq. Tout de même, méfiez-vous pour l’avenir.

— Mais, monsieur le Juge d’instruction, une affaire comme celle-là ne se présente pas deux fois. Heureusement ! Pour ma part, depuis vingt-quatre heures, je ne vis plus.

— Combien, diable, avait-il reçu pour prix de son silence ? dit tout bas M.  Rousselain au substitut. Cent mille francs ? Deux cent mille francs ? S’il y a eu chèque il aura peut-être quelque mal à toucher… j’y veillerai. »

Puis, se tournant vers Bernard, il lui dit :

« Quant à vous, monsieur Debrioux, il vous sera facile, n’est-ce pas, de prouver qu’il y a eu, de la part de M.  d’Orsacq manœuvre frauduleuse pour mettre la main sur vos titres ?

— Oui, monsieur le juge d’instruction. Je puis dire à présent que la preuve m’en avait été envoyée par Mme  d’Orsacq, laquelle l’avait trouvée par hasard. Mais je ne consentirai jamais à ce que la mémoire de M.  d’Orsacq…

— Ne craignez rien, M.  le substitut et moi, nous nous sommes mis d’accord pour qu’on ne sache de l’affaire que ce qu’on n’en peut cacher. Il y a eu meurtre puis suicide, et, je le répète, l’action de la justice est éteinte. Je vous demanderai simplement de m’apporter le document qui vous met à l’abri de toute réclamation.

Les deux magistrats firent une dernière promenade aux abords de l’eau. Comme ils arrivaient près de la première grotte, le substitut s’arrêta :

— Monsieur le Juge d’instruction, je ne me trompe pas en affirmant que vous avez hésité lorsque M.  d’Orsacq a exprimé le désir de dire à sa femme un dernier adieu ?