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il eût reçu une gifle retentissante, mais Boisgenêt avait le sentiment des distances. Retrouvant sa dignité, il articula fortement : « Monsieur le Juge d’instruction, je proteste énergiquement contre les racontars de cet individu. Il se venge parce qu’il m’a surpris en train d’embrasser sa femme. »

M. Rousselain sursauta, soudainement intéressé : « Vous embrassiez sa femme ? Qu’y a-t-il donc entre cette personne et vous ? Ravenot, précisez vos accusations : Ravenot, vous avez surpris votre femme avec M. Boisgenêt ? »


II


M. Rousselain était plein d’espoir. Une intrigue ! Un flagrant délit ! Est-ce donc que l’affaire allait rebondir ?

« Je n’ai pas surpris ma femme, précisa vivement Ravenot. Amélie est l’épouse la plus honnête et je suis sûr d’elle.

— Cependant, si elle se laisse embrasser ? Cela suppose…

— Mais rien du tout ! s’exclama Ravenot avec indignation. Il y a seulement de la part de monsieur une inconvenance inqualifiable. »

Amélie répondit avec une gêne pudique et souriante :

« Tout cela n’est pas bien grave. Monsieur a profité de ce que je lui versais de la liqueur. Je suis sûre qu’il n’a attaché aucune importance… Malheureusement, mon mari est entré. »

Boisgenêt ricana, ce qui mit le maître d’hôtel hors de lui.

« Et qui est-ce qui avait ouvert la porte de ce placard pour s’approcher du coffre-fort ? Et qui est-ce qui chipait les cigares de Monsieur ? Hein ? Ma femme ne vous a-t-elle pas vu qui emplissiez vos poches ?

— Moi ?

— Monsieur ne se rappelle pas ? fit Améhe conciliante, Monsieur m’a dit qu’il lui en fallait pour offrir à ses amis. »

La colère de Boisgenêt éclata :

« Des blagues ! C’est vous qui m’avez avoué que vous chipiez le parfum de votre maîtresse ! Vous en aviez plein le cou. C’est pourquoi je vous ai embrassée. Hein ! vous ne direz pas non ? « La pluie de fleurs sous la véranda » ! Vous m’avez tendu le cou pour que je sente… »

Il bégayait, ne trouvant plus ses mots, exaspéré de se sentir ridicule. Vanol et les Bresson le calmèrent.

M. Rousselain, déçu, dit à son voisin :

« Rien que des balivernes ! Mais vous voyez, monsieur le Substitut, dès qu’on s’accroche à une aventure sentimentale ou sensuelle, tout de suite ils sont déchaînés. »

Il soupira, avec sa finesse particulière, où il y avait de la plaisanterie, un peu de lassitude sceptique, et toujours de l’intelligence :

« Ah ! c’est que la vérité est si difficile à découvrir ! Pensez donc ! Nous sommes en face de gens qui nous sont totalement étrangers. Ils surgissent soudain devant nous et il faut démêler leur innocence ou leur culpabilité et trouver la raison de leurs actes, alors que nous ignorons tout de leur psychologie, de leurs goûts, de leurs habitudes, de leur passé, de leur atavisme. Ce sont des ombres que nous évoquons. De quelles silhouettes réelles sont-elles le reflet ?

— Pourquoi donc, observa le substitut, les réunissez-vous pour les interroger ? En général…

— Oui, en général on les questionne