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Lamar ouvrit des yeux ahuris.

— Mon tailleur ?

— Oui, Osborne. Le muet que vous m’avez envoyé. Enfin, je ne regrette pas ma demi-heure. Notre enquête, grâce à vous, a fait un grand pas. Osborne est à peu près sûr que le manteau vient de chez lui.

— Voyons, voyons, Allen, qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? Qui est cet Osborne ? ce tailleur ? ce muet ? Je ne vous ai envoyé personne.

Randolph Allen, en un éclair, dut s’apercevoir qu’il s’était laissé jouer. Il en fut stupéfait et furieux, on n’en saurait douter, mais l’œil le plus clairvoyant n’eût pu saisir sur son visage l’ombre de la plus légère émotion. Du même ton impassible, il expliqua à Max Lamar ce qui était arrivé.

Max Lamar, lui, ne chercha pas à dissimuler sa consternation et son dépit, mais il ne voulait pas blesser son ami Allen et s’associa à la faute commise.

— Nous avons été joués, dit-il. Nous nous sommes laissé reprendre la seule pièce qui eût pu nous servir d’indice pour retrouver la femme voilée. Nos adversaires, quels qu’ils soient, ne manquent ni d’audace ni d’imagination.

— J’apprécie les éloges que vous leur décernez, mon cher docteur, répondit imperturbable Allen. J’ignore si vous avez été joué par quelqu’un. Quant à moi, cela ne m’est pas arrivé. J’ai pris mes précautions. Un agent accompagne le tailleur, avec ordre de ne pas quitter des yeux le manteau et de le rapporter à mon secrétaire dès qu’il aura été examiné.

— Ah ! vous me rassurez, dit Lamar avec un soupir de soulagement. Cependant, si vous le voulez bien, allons tout de suite à votre bureau voir si l’agent est revenu.

— Volontiers, dit Allen, qui, très inquiet, bien qu’il eût péri plutôt que de le montrer, ne pensait plus à dîner.

Ils sortirent précipitamment et une auto du club, en quelques minutes, les eut conduits à la Station centrale de police.

— Quoi de nouveau, Carson ? demanda Allen à l’agent qui était de planton à la porte de la Station centrale. Meeks est-il revenu ?

— Pas encore, chef, répondit l’agent, en portant la main à sa casquette.

— Il n’y a pas de temps perdu, murmura Lamar sans conviction.

En compagnie du chef de police, il monta dans le cabinet de travail de celui-ci et devant le bureau fermé de Randolph Allen, s’assit.

— Vous permettez ! dit-il en ouvrant un registre, je veux vérifier si ce nom d’Osborne ne vous aurait jamais été signalé pour une raison quelconque.

— Vous êtes chez vous, dit Randolph Allen.

— Rien, dit-Lamar au bout de quelques minutes. Je m’en doutais. Maintenant, je vais user de votre téléphone pour…

Un pas lourd et hésitant l’interrompit. Un homme entra dans le bureau.

C’était Meeks.

L’infortuné était dans un état lamentable, poussiéreux, déchiré, meurtri, le visage blême et hagard. On eût dit qu’il venait de soutenir un combat furieux contre toute une foule en fureur.

Son ivresse s’était dissipée, mais, dans ses yeux effarés, se lisait une sorte d’égarement.

— Meeks ! cria Lamar. Que vous est-il arrivé ? Où est le manteau ?

Meeks, sans répondre, ouvrit les bras en un geste désespéré.

— Parlez ! ordonna Randolph Allen.