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Non ! cria-t-elle soudain, je ne puis croire cela encore…

— Vous allez courir les risques d’une nouvelle aventure périlleuse et folle, Je vous en prie, Florence, renoncez à cette tentative…

— Je n’y renoncerai pas, je suis décidée. Du reste je ne risquerai rien, je vous assure. Mon plan est fait, et je vous affirme qu’il ne me mettra pas une seconde en péril. C’est très simple, je vais tout bonnement acheter cette moitié de bracelet à Sam Smiling… D’ailleurs, je connais celui-ci. Je me suis intéressée à lui, quand il était à l’asile. C’est un brave cordonnier qui, par suite d’une erreur, est resté détenu quelque temps ; il est incapable de faire du mal à qui que ce soit.

— Mais il vous reconnaîtra, Florence. Comment expliquerez-vous…

— Non, non, il ne me reconnaîtra pas, soyez tranquille, Mary. Je prendrai mes précautions… C’est moins compliqué que de conclure les affaires de M. Bauman, acheva Florence avec un petit rire.

— Mon enfant, comment allez-vous agir ? Je vous en prie, confiez-moi vos projets, supplia Mary, qui voyait se fixer sur les traits de la jeune fille une expression d’audace qui marquait sa beauté d’un cachet étrange.

— Et rassurez-vous, ma bonne Mary, je resterai gantée, déclara celle-ci avec tranquillité et sans autrement s’expliquer.

La gouvernante insista en vain, Elles arrivaient à Blanc-Castel. Florence ne consentit pas à s’expliquer davantage et elle ne voulut pas non plus permettre à Mary de l’accompagner, lorsque, une heure plus tard, elle ressortit par la petite porte dérobée du parc.

Florence, équipée pour cette expédition nouvelle, ne se ressemblait pas à elle-même et n’était plus du tout la jeune fille élégante dont les toilettes faisaient toujours sensation.

Elle n’avait osé, par prudence, reprendre le manteau de la mystérieuse dame en noir, dont le signalement était connu partout depuis le vol de la banque Bauman. Elle avait mis un vaste cache-poussière gris, sorte de vêtement de voyage, dont l’ampleur dissimulait entièrement sa taille. Elle portait un petit chapeau très simple, comme celui d’une ouvrière qui va à son travail, et, autour de son visage, elle avait serré une voilette blanche, à ramages brodés, et si épaisse qu’il était matériellement impossible de distinguer ses traits ni la couleur de sa chevelure.

Quand elle fut dans la rue, elle se dirigea en hâte vers la place où, au premier épisode de ce récit, l’on a vu, devant l’agence affichant les résultats sportifs, Bob Barden essayer de dérober la montre d’un spectateur.

Florence traversa la place, suivit deux rues, tourna dans une autre et, enfin, se trouva devant l’allée dissimulée entre deux hautes maisons, qui avait été l’issue de la fuite de Jim et de son fils.

Florence s’y engagea et, à travers la palissade, regarda dans le terrain vague où se trouvaient le tas de bois et la trappe jadis dissimulée, maintenant condamnée par les soins de la police.

Florence cherchait Johnny.

Elle avait besoin d’un messager, d’un messager pour qui elle resterait inconnue. Elle savait tous les détails de la poursuite tragique et elle avait songé à employer l’enfant qui avait renseigné Max Lamar resté en défaut.

Johnny, qui était étendu sur son toit avec une nonchalance de sybarite, tout en épiant ce qui se passait dans la rue, dans l’allée et dans les maisons qu’il dominait de sa position élevée, se dressa d’un bond lorsqu’il vit Florence regarder à travers les fentes de la palissade.

Cette dame cherchait quelqu’un ; or, ce quelqu’un ne pouvait être que lui, Johnny. Depuis le jour, pour lui bienheureux, où Johnny s’était trouvé mêlé, indirectement, il est vrai, au drame de la chambre secrète, la terre ne le portait plus, et, aux yeux des petits voyous, ses amis, il était environné