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Florence eut un mouvement d’épaules où il y avait comme un défi.

— Oui, sans doute, c’est impossible !… Du reste il me semble, voyez-vous, Mary, que je retrouverais, pour détourner les soupçons, s’ils s’éveillaient, pour déjouer une enquête qui me menacerait, toute l’énergie, toute l’adresse et toute l’audace que j’ai eues pour accomplir les actes que l’on pourrait me reprocher… Ces actes, du reste, ont l’apparence peut-être à cause des moyens que j’ai dû employer, d’être des actes coupables, criminels même, mais ils n’en ont que l’apparence. Je ne les regrette pas, loin de là. Ils tombent sous le coup de la loi, c’est vrai, mais je crois encore, en toute conscience, qu’en les faisant, j’ai fait le bien…

— Mon enfant, n’envisagez pas ainsi cette aventure folle et terrible, supplia la gouvernante… Songez à quoi vous vous exposiez… Ce misérable usurier eût été impitoyable… C’eût été votre vie brisée. Florence Travis, une voleuse !… Non, c’est un cauchemar d’où vous sortez et qu’il faut chasser à jamais !

— Soit ! Mais vous oubliez, Mary, que j’ai sur la main droite quelque chose qui se chargera de me rappeler trop souvent ce que je suis et quelle fatalité pèse sur moi… Le cauchemar est une réalité et le cauchemar reviendra, je le pressens ! Pourtant, oui, en effet, nous n’en parlerons plus… Bientôt…

— Que voulez-vous faire ?

— Je veux, avant d’essayer d’oublier, comme vous dites, je veux aller une fois encore à l’asile où il était enfermé. Je veux revoir la cellule où, captif, derrière une grille, seul, farouche, désespéré, il a passé tant d’heures affreuses à se battre contre les affres du mal héréditaire, à méditer sur ses crimes, ses remords et son suicide. Je veux aller là, comme j’irais sur sa tombe s’il en avait une autre qu’une fosse anonyme. Une force invincible m’attire vers cette geôle sinistre où déjà, sans le connaître, je me suis intéressée à lui ; où je lui ai parlé de sa femme… qui était ma mère… de son enfant… qui est moi-même, acheva Florence, à voix si basse que Mary l’entendit à peine.

— Florence… par pitié, ne répétez plus cela…

— Vous allez m’accompagner à cette maison lugubre, Mary, reprit avec fermeté la jeune fille. Ma visite ne semblera pas étrange, car on m’y a vue souvent porter quelques consolations à ces misérables qui y sont enfermés… Après, lorsque sera apaisé l’irrésistible sentiment qui m’entraîne là, eh bien, je tâcherai de bannir de ma mémoire, je vous le jure, ce que vous m’avez révélé… Et qui sait, peut-être serai-je délivrée aussi du stigmate de honte qui m’a été légué… Mais, maintenant, Mary, je veux aller voir cette cellule, il le faut, je le veux !

— Je vous obéirai, je vous accompagnerai, dit avec résignation Mary.

Sans rien ajouter de plus, la gouvernante se leva et suivit Florence, jusqu’à la maison.

Quelques minutes après, elles furent prêtes à sortir. Elles traversèrent le parc et, par une porte dérobée, située au bout du mur de clôture et à demi cachée parmi un fouillis d’arbustes et de buissons, elles gagnèrent la rue.