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moquez de moi ! Ah ! mais, vous allez vous expliquer ! cria l’usurier en colère.

Wilson ne se troubla pas.

— Ah ! non, hein, pas de scènes ! Ça prend avec vos employés, mais ça ne prend pas avec moi ! C’est vrai, ça, faut savoir ce qu’on veut ! C’est pas déjà si amusant pour moi, à la fin des fins, de trimballer les péronnelles que vous m’envoyez !

— Moi ! Je vous ai envoyé une péronnelle ? balbutia Bauman, ahuri.

— Oui avec votre carte… Cette carte-là… J’avais qu’à obéir.

Wilson, descendu de son siège, se fouilla et tendit une carte de visite sur laquelle Bauman, Lamar et Allen purent lire :

Karl Bauman

Ordre à mon chauffeur de conduire où elle voudra la personne qui lui remettra la présente.

— Qui vous a remis cela ? interrogea Allen.

— Une femme habillée comme un éteignoir, avec des voiles partout…

— Ma voleuse ! cria Bauman. Cela, c’est le comble !

— J’attendais en bas de la banque, continua Wilson. Elle s’est jetée dans l’auto et elle m’a tendu la carte. Alors, comme le patron prête de temps en temps sa voiture à des clients…

— Et cette femme voilée, qu’est-elle devenue ? interrompit Lamar.

— Elle m’a promené dans la ville et puis m’a fait arrêter ici, et elle a filé par là, dit Wilson, désignant une allée du parc.

Il n’ajouta pas que la mystérieuse inconnue lui avait donné deux dollars de pourboire.

Furieux du temps perdu, Lamar, que suivirent aussitôt ses compagnons, partit en courant dans la direction indiquée.

Le chauffeur Wilson avait dit vrai.

La femme voilée qui s’était si audacieusement emparée de l’auto de l’usurier Bauman s’était, en quittant la voiture, enfoncée en toute hâte dans les allées du parc.

Elle marchait vite, mais sans courir. Elle s’était aperçue, à la fin de sa course dans la voiture volée, qu’elle était suivie par une motocyclette et une auto de la police, mais elle avait quelque avance sur ses poursuivants, et elle se doutait bien qu’ils perdraient un peu de temps à interroger le chauffeur.

Elle quitta bientôt l’allée principale pour s’engager dans une allée adjacente, plus étroite et qui serpentait entre les buissons touffus, que leur épaisseur rendait impénétrables.

Le parc, de ce côté, était désert. Dans une sorte de berceau de verdure, la mystérieuse personne s’arrêta, après avoir interrogé du regard les alentours, afin de s’assurer qu’elle était bien seule.

Alors, rapidement, elle enleva le voile noir qui entourait sa tête et cachait son visage ; elle le roula en une boule serrée et le jeta au plus profond d’un massif épais. D’un geste vif, elle ôta son manteau noir, sous lequel elle était tout en blanc. Le manteau lui-même se trouvait entièrement doublé de satin blanc, et elle le plia avec grand soin du côté de cette doublure, en sorte qu’on ne vît plus rien du tissu noir.

C’était une femme ensevelie tout entière dans des plis noirs impénétrables qui s’était enfoncée dans les massifs du parc.

La femme qui en sortit quelques minutes plus tard était en blanc des pieds à la tête.

Dans l’allée, elle revint sur ses pas, élégante et charmante, sous sa toque blanche, dans son costume blanc immaculé, avec