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milieu des autres véhicules parcourant les rues. Sur sa capote grise étaient fixés les yeux des poursuivants dont l’auto gagnait du terrain. À mi-distance entre les deux voitures, la moto de l’agent filait à toute allure.

— Nous nous rapprochons, observa Max Lamar.

— Votre auto ne vaut pas la mienne, monsieur Bauman, fit observer Randolph Allen.

— C’est cependant une voiture de premier ordre, répondit aigrement l’usurier, vexé dans son amour-propre de propriétaire. Ceux qui la conduisent ne doivent pas donner toute la vitesse… sans cela…

Mais pourquoi n’avez-vous pas ordonné à votre agent de les arrêter, monsieur Allen ? reprit-il à la réflexion.

— Pour savoir où ils vont et ce qu’ils feront, dit brièvement le policier, qui estimait qu’une chose si simple devait sauter aux yeux.

Il y eut un moment de silence. La course continuait à travers les rues et les places. La motocyclette de l’agent n’était plus très loin de la voiture à capote grise que les policiers maintenant pouvaient ne plus perdre de vue un seul instant.

— Monsieur Allen, dit soudain l’usurier.

— Monsieur Bauman ?

— Croyez-vous que Larkin soit complice ?

— Larkin ?

— Oui, mon garçon de bureau, L’imbécile qui a laissé entrer dans mon cabinet cette femme voilée.

— Non, pas du tout. Le malheureux, que vous terrorisez, a fait ce qu’il croyait le mieux pour ne pas vous mécontenter.

— N’importe, ça ne peut pas se passer comme ça, dit entre ses dents — elles étaient fausses et lui avaient coûté très cher — M. Bauman avec une rancune féroce. Je ne puis mettre tout mon monde à la porte, mais je veux faire un exemple…

Lamar eut pitié de l’infortuné Larkin. Il le connaissait pour un brave homme inoffensif, préoccupé seulement de gagner, pour lui et les siens, le pain quotidien. L’acharnement de l’usurier contre ce malheureux sans défense l’écœurait. Il intervint :

— Non, non, pas d’exemple, M. Bauman, dit-il gravement. Croyez-moi, ne renvoyez personne. Dissimulez, enquêtez, observez… Et puis surtout recommandez à votre personnel de ne pas ébruiter la façon — permettez-moi de dire pittoresque — dont s’est opéré le vol. Qu’ils n’aillent pas raconter cela avec tous les détails à leurs amis et connaissances… Souhaitez que les journaux n’en parlent pas, M. Bauman. Un financier dans une armoire… Vous saisissez ? C’est tragique, sans doute, mais il y a des gens — excusez-moi — qui trouveront cela ridicule. Ceux particulièrement qui vous connaissent… Vous êtes un homme en vue. Il faut soigner votre attitude. Alors, en gardant tous vos employés, vous vous assurez autant que possible leur discrétion… Larkin, dans votre antichambre, a dû voir passer bien des clients… singuliers… Il pourrait, pour s’excuser, raconter…

M. Bauman s’agitait.

— Un financier dans une armoire, répéta-t-il, indigné… Croyez-vous qu’on se permettrait. N’importe, vous avez raison, je garderai ce coquin pour le surveiller de près.

Il y eut un moment de silence.

— Plus vite ! plus vite ! cria tout à coup Max Lamar au chauffeur. Regardez là-bas, Allen, l’auto grise gagne du terrain !