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Une fois seule dans sa chambre, la jeune fille donna libre cours à ses pensées. Tant d’impressions et de sensations s’agitaient en elle depuis quelques jours qu’elle éprouvait le besoin de mettre un peu d’ordre dans ses idées bouleversées. Et puis, ne devait-on pas songer à l’avenir ?

Quoi qu’elle en eût dit, toute énergie n’était pas morte en elle. Il lui faudrait, d’ailleurs, en avoir au jour prochain du procès retentissant dont tous les journaux parlaient déjà. Elle aurait à subir des interrogatoires et des confrontations. Il fallait qu’elle fît le choix d’un avocat. Tout cela demandait de la décision, du courage et de la présence d’esprit. Elle comptait beaucoup sur la protection occulte de Max Lamar. Elle était sûre qu’il ne l’abandonnerait pas…

Tandis qu’elle se livrait à ses pensées, la fatigue qui, peu à peu, s’appesantissait sur elle, engourdit sa volonté. La tête renversée sur le dossier de son fauteuil ; elle s’assoupit.

Alors la préoccupation obsédante qui ne lui laissait pas une seconde de répit dans la veille se poursuivit dominatrice pendant le demi-sommeil où la jeune fille avait glissé.

Et Florence eut un rêve étrange.

Son père, Jim Barden, lui apparut, avec la même intensité que s’il eût été vivant.

Il s’approcha et se courba vers la main de sa fille, posée sur le bras du fauteuil.

Sur cette main, le Cercle Rouge s’inscrivit, puis s’effaça.

L’ombre de Jim Barden alors se redressa. La jeune fille vit remuer ses lèvres et, sans entendre le son de ses paroles, elle en comprit le sens :

— Ma fille, puisque ta pensée depuis quelques jours s’est tournée vers moi, je veux à mon tour venir à toi. Je souffre de te sentir malheureuse par ma faute et je ne connaîtrai pas de repos tant que tu seras marquée de cet affreux stigmate du Cercle Rouge. Mais tu possèdes en toi-même le pouvoir de te guérir à jamais. Il te suffit de vouloir. Jadis, quelquefois, j’ai réussi moi-même à lutter contre l’influence maudite. Si je n’y suis pas toujours parvenu, c’est que j’étais un être farouche, malheureux et violent. Toi, ma fille, qui as eu le bonheur de recevoir cette éducation qui me manquait, de vivre dans la joie et la paix, tu dois triompher, et ce sera par l’action de ta volonté, de ta volonté qui, seule, saura vaincre la destinée mauvaise…

L’apparition s’évanouit progressivement.

Oppressée, brûlante de fièvre, Florence Travis se dressa, et, poussant un grand cri, tomba à terre sans connaissance.

À ce cri, deux personnes accoururent : Mary et Max Lamar. Ce dernier, venu pour voir Florence, causait avec la gouvernante, dans le petit salon, en attendant que la jeune fille se réveillât et le reçût.

Quand il aperçut Florence étendue sur le plancher, il s’empressa de la relever dans ses bras robustes. Il y parvint facilement, le corps de Florence se trouvant dans un état de raideur presque cataleptique. Il la maintint debout, priant Mary de la soutenir aux épaules.

D’un coup d’œil, le docteur avait compris quel parti il pouvait tirer de l’état d’hypnose où se trouvait la jeune fille.

Prenant la main de Florence, et concentrant sur elle toutes les forces de sa volonté, il lui dit à voix haute :

— Je veux que passe en vous toute l’énergie qui est en moi, afin que vous puissiez lutter contre la fatalité qui vous étreint et que vous en triomphiez à jamais.

Florence eut un tressaillement de tout son être et peu à peu ses membres s’assouplirent.

Alors, il lui dit tout bas :

— Je t’aime, Florence. Prends toute la force dans mon amour et dans ton amour. L’amour est la grande puissance. Avec l’amour, rien n’est impossible. Avec l’amour, tu redeviendras maîtresse de ta destinée. Aie confiance. Tu seras victorieuse.