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— Il faut l’espérer, ma chère Florence. Il faut en être sûre, dit la gouvernante. Si vous m’aviez écoutée, vous n’eussiez pas accompli ces actes.

— C’est vrai… mais je ne pouvais pas t’écouter. Une force me poussait plus puissante que ma volonté. Mais tu reconnaîtras que je n’en ai jamais mal usé, que je m’en suis servi toujours pour le bien.

— C’est précisément cela que le docteur Lamar a compris. C’est parce qu’il a deviné que le fond de votre nature était la bonté, la générosité, l’enthousiasme, qu’il n’a pas hésité à vous offrir son nom, sachant ce que vous aviez fait. Quand, vous serez, sa compagne, vous l’écouterez. Il triomphera de la malédiction qui vous accable.

— Hélas ! je ne puis le croire… Non, ma pauvre Mary, c’est un rêve auquel je dois renoncer et qu’il serait charitable à toi de ne pas encourager. La fille de Jim Barden ne peut pas être la femme de Max Lamar. Comprends-tu bien ce que cela veut dire : la fille de Jim Barden ?… De même que mon père m’a transmis cet affreux héritage, de même je le transmettrai à mes enfants, qui seront les siens, les nôtres… Non, non, cette pensée me paraît monstrueuse, et je ne veux plus l’éveiller. Le Cercle Rouge doit mourir avec moi…

— Mais qui vous dit que cette influence doive être éternelle ? reprit Mary avec ténacité. Vous ne lui avez été soumise que très tard, en somme… Qui sait si votre volonté n’a pas temporairement été faussée, affaiblie par moments, surexcitée à d’autres ? Et ne pourrait-on pas, dans ce cas, la guérir ? Le jour où, redevenue normale, elle ne serait plus sujette à ces à-coups irréguliers qui la détraquent, peut-être l’influence du Cercle Rouge disparaîtrait-elle à jamais… Je ne suis qu’une pauvre femme ignorante… Mais j’ai tant réfléchi sur votre cas !… Vous êtes une malade, une malade qu’on peut, qu’on doit guérir. Voilà.

Florence avait écouté les dernières paroles de Mary avec grande attention.

— Peut-être as-tu raison, murmura-t-elle enfin… Ma chère Mary, quelle amie tu es !… Quelle consolation dans ma détresse que de me sentir enveloppée par toute ton affection ! Oui, tu as sans doute raison. Oui, j’exercerai ma volonté à combattre le mal qui est en moi. Oh ! j’y ai maintes fois songé. Mais, malgré tout, je suis la moins forte. Ah ! si une influence extérieure m’était venue en aide, avait renforcé cette volonté qui s’égare et fléchit, peut-être eussé-je triomphé…

Mary sourit sans mot dire. À part soi, elle pensait :

« Je le connais, celui qui sera le grand guérisseur. Son œuvre se réalisera. »

Par la fenêtre, Florence laissait ses regards errer vers le ciel gris où couraient des nuages aux formes changeantes, qui, tour à tour, se précipitaient en groupes harmonieux ou se disloquaient sous le souffle de bourrasques.

— Voilà l’image de ma vie, se dit Florence. Des oppositions brusques, des contrastes… et une force extérieure et aveugle qui m’entraîne vers une destinée inconnue… Mary, laisse-moi seule quelques instants. J’ai besoin de repos et de réflexion.

La gouvernante se retira.