Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lâcher prise. Un coup de feu retentit qui n’atteignit personne. Lamar, enfin, dans un effort suprême, réussit à immobiliser une seconde la main de son adversaire, et, ouvrant d’un coup sec la culasse de l’arme, il en fit sauter les cartouches.

Au même moment, la trappe s’ouvrit, et les deux policiers, qu’avait prévenus l’enfant du terrain vague, se précipitèrent dans la pièce, revolver au poing.

Jim repoussa son adversaire, saisit une chaise, à toute volée la lança. Les deux agents se jetèrent sur lui.

Max Lamar, épuisé par la lutte qu’il avait soutenue, resta un moment sans haleine et sans forces. Mais il se rendit compte, soudainement, qu’une forte odeur de gaz emplissait la pièce, le prenant à la gorge. Les paroles de Barden, dans un éclair, lui revinrent à l’esprit : « Mon fils… là… Ne l’entends-tu pas râler ?… »

Il s’élança, ouvrit la porte de la petite pièce, mais, suffoqué, recula. Il aspira une forte bouffée d’air, et, faisant appel à toute son énergie, de nouveau, au milieu de l’atmosphère mortelle, il se précipita, ferma le robinet du gaz, empoigna un tabouret et fit voler en éclats, de quelques coups rapides, les vitres de la fenêtre. Revenant au lit de fer sur lequel il avait vu une forme humaine inanimée, il prit Bob dans ses bras, l’enleva et l’emporta en chancelant dans l’autre pièce. Défaillant, il s’appuya, s’affaissa plutôt contre le mur, tenant toujours entre ses bras le corps inerte.

Le combat continuait, acharné, entre le vieux Jim et les deux policiers. Barden ne cherchait pas à fuir, il cherchait à mourir. Il avait saisi la main, armée d’un revolver, de l’un des agents, et il employait toute sa force à diriger le canon de l’arme contre sa propre poitrine.

Il fit un suprême effort, tordit à le briser le poignet qu’il tenait. Un coup de feu retentit. Jim Barden s’écroula sur le plancher, les bras en croix.

Max Lamar avait rapidement repris possession de lui-même. Incliné vers le corps insensible du jeune Barden qui avait glissé sur le sol, il faisait d’énergiques efforts pour le rappeler à la vie. Ce fut en vain. L’asphyxie avait fait son œuvre.

Le médecin se pencha ensuite vers le corps de Jim. Celui-ci, également, ne respirait plus. La balle du revolver avait traversé le cœur.

Max Lamar se releva. Il regarda pendant quelques moments les cadavres du père et du fils, puis il détourna les yeux.

— Morts tous deux, dit-il à voix haute. Avec eux cesse d’exister la marque fatale du Cercle Rouge…

La fin tragique de Jim Barden et de son fils produisit parmi le public une forte impression.

Max Lamar s’efforça de ne pas laisser s’ébruiter la part qu’il avait prise dans cette affaire. Ce fut en vain. La perspicacité et le courage dont il avait fait preuve lui créèrent une réputation énorme, et son ami, le chef de police Randolph Allen, alla jusqu’à dire que sises fonctions de médecin légiste lui laissait des loisirs, il se ferait un devoir de lui offrir une place d’inspecteur de première classe.

Max Lamar, cependant, excédé par les démarches, rapports et dépositions qu’il devait faire, éprouva le besoin de se distraire et de voir des spectacles gracieux après des spectacles tragiques.

C’est alors qu’il se souvint — mais l’avait-il une seule minute oubliée ? — de la promesse qu’il avait faite à Florence Travis et à sa mère de leur rendre visite.

En conséquence, un après-midi, deux ou trois jours après la mort des deux Barden, il se dirigea vers Blanc-Castel.

Le temps était beau, et Max Lamar marchait sans hâte, se trouvant en avance.

En débouchant sur une grande place, il vit une auto arrêtée non loin de lui. C’est machinalement qu’il y avait jeté les yeux, mais ses regards s’attachèrent avec admiration sur une main féminine, qui, négligemment posée au bord de la portière, ressortait sur le fond sombre de la voiture.

Des occupants de l’auto, Max Lamar ne voyait rien. La main seule apparaissait, mais il n’en pouvait détacher ses yeux.

C’était une main de jeune femme ou de jeune fille. Une main fine, délicate et soignée, adorable de forme, exquise de blancheur.

Le jeune homme s’approcha pour la voir de plus près. À ce moment, l’auto, démarrant, s’éloigna.

Mais un cri de stupeur échappa à Max Lamar. Sur la main blanche, sur la main séduisante, une marque se formait, indistincte d’abord, un stigmate circulaire qui fonça peu à peu, devint comme une couronne irrégulière d’un rouge sang — le Cercle Rouge.

Max Lamar s’élança au milieu des voitures, mais l’auto filait à toute allure, et il n’eut que le temps d’entrevoir le numéro inscrit à l’arrière.

Il revint sur le trottoir, tira son portefeuille, et, d’une main qui tremblait un peu, malgré son empire sur lui-même, il inscrivit sur une de ses cartes de visite cette note brève :

Auto n° 126694, le Cercle Rouge.


fin du premier épisode