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table, souiller la main de cette vierge, pure entre les plus pures !

L’hésitation de tous devant un tel spectacle eût persisté quelques secondes de plus que, peut-être, Florence, s’affermissant dans un nouveau dessein, eût pris la résolution intrépide de tenir tête à l’orage et d’accepter toutes les conséquences d’un aveu public. Elle y pensait. Elle s’habituait à cette idée qui convenait à sa vaillance et à la noblesse de son âme.

Mais Randolph Allen fit un geste. Il avança d’un pas. Menace intolérable ! Avant même qu’elle eût le temps de réfléchir, les forces mauvaises du passé la contraignirent une fois de plus à l’aventure. L’instinct de la lutte, le sentiment atavique de la révolte jaillirent une fois de plus en elle, suscitant un brusque sursaut d’énergie indomptable, et elle s’enfuit soudain, elle s’enfuit éperdument vers la maison.

Mary, la première, s’élança à sa suite et la rattrapa à la porte du vestibule, pendant que Silas Farwell et Randolph Allen, qui accouraient aussi, n’étaient encore qu’à une certaine distance. Quant à Mme Travis, éperdue, affolée, elle était restée sur place.

Florence pénétra dans la maison dont Mary referma la porte, et les deux femmes, toujours courant, arrivèrent à l’appartement de la jeune fille.

Florence s’y enferma, tandis que la fidèle gouvernante restait dans le corridor, résolue à empêcher qui que ce fût d’approcher de l’enfant qu’elle avait élevée, qu’elle chérissait par-dessus tout.

Florence, très aimée de tout son entourage, avait suscité un autre dévouement.

Yama, le domestique japonais, accouru au bruit des voix, s’était rendu compte obscurément que sa maîtresse était menacée par un danger quelconque.

Et ce fut lui que trouva, en travers de la porte d’entrée, le chef de police. Le courageux Yama, les bras étendus, voulut l’empêcher de pénétrer dans la maison. Le policier le saisit au collet, mais Yama qui, comme tous ses concitoyens, avait quelque pratique du jiu-jitsu, réussit à tenir en échec un certain temps le robuste Randolph Allen. Néanmoins, la lutte, dont l’issue n’était pas douteuse, ne dura guère. Yama, enlevé du sol par la poigne vigoureuse du chef de police, fut jeté par lui au milieu d’un massif de rhododendrons qui ornait la pelouse et où il s’abattit sans se faire aucun mal.

Randolph Allen entra dans Blanc-Castel.

Il allait s’engager dans l’escalier quand, sur les premières marches, il fut arrêté par Mary qui, farouche, prête à tout pour sauver la jeune fille, s’était emparée d’un lourd tabouret qu’elle brandissait au-dessus de sa tête.

Parlementer n’était pas de saison. Randolph Allen se ramassa sur lui-même et s’élança dans l’escalier. Mary, de toutes ses forces, lança le tabouret qu’il arrêta à la volée. Et comme la gouvernante voulait lui barrer le passage, il la saisit par la taille, la déposa au bas des marches et remonta l’escalier.

Mais une fois dans le corridor du premier étage, il fut pris d’une hésitation. Il avait en face de lui plusieurs portes. Laquelle devait-il choisir ?

Comme il restait ainsi, perplexe, Mary, qui était remontée, passa devant lui, rapide comme un éclair, et pénétra dans la chambre dont elle referma précipitamment la porte, qu’elle barricada en y adossant un énorme fauteuil dans lequel elle s’assit les pieds arc-boutés contre un meuble.

Elle offrait ainsi une résistance sérieuse à l’assaillant.

Le chef de police faisait des efforts considérables pour renverser cet obstacle, mais il ne put y parvenir.