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ses bras ouverts à Florence, qui s’y jeta en pleurant.

— Florence, ma chère Florence, murmura la gouvernante, appuyez-vous sur votre vieille amie. Mon enfant, je vous admire, vous êtes la plus généreuse, la plus noble des femmes.

Max Lamar, accablé sur son siège, ne releva pas la tête, qu’il avait enfouie dans ses mains.

Les deux femmes sortirent, appuyées l’une sur l’autre. Au bruit de la porte qui se fermait, Max Lamar tressaillit. Il lui semblait que tout le bonheur de sa vie venait de le quitter et l’existence lui apparut soudain misérable et sans intérêt. Il se redressa et lentement sortit à son tour, les épaules courbées, comme écrasé par le poids de sa douleur.



XXXIII

Une journée de Randolph Allen bien remplie


Quand il eut livré aux flammes le reçu frauduleux, mais si compromettant, que lui avait rendu Florence Travis, l’avocat Gordon prit la décision de faire immédiatement peau neuve et de se créer, en attendant sa réhabilitation complète, une personnalité à l’abri de laquelle il pût demeurer tranquillement et agir librement. Pour ne pas donner l’éveil à la police, qui chercherait sûrement à retrouver sa trace, il résolut d’éviter pendant quelques jours les grands quartiers et de rester dans le faubourg populeux où le hasard de sa fuite l’avait conduit.

Son premier soin fut d’acheter des vêtements.

Chez un revendeur assez louche d’aspect, mais très bien fourni, il se procura un costume modeste et convenable, un chapeau, des chaussures et du linge. Le boutiquier trouva bien un peu étrange ce client dépenaillé qui payait avec une banknote et sans marchander. Mais comme son bénéfice était appréciable, que les scrupules ne l’étouffaient guère et qu’il n’avait pas coutume de demander aux acheteurs souvent interlopes à qui il avait affaire d’où provenaient leurs ressources, il s’abstint de questions et de commentaires.

Non loin du fripier se trouvait un barbier, dont l’échoppe ne rappelait que de fort loin les luxueux lavatories des grandes avenues. Pour quelques sous, il se fit couper les cheveux et tailler la barbe.

Prétendre que Gordon, après ces diverses transformations, ressemblait à un arbitre des élégances, serait vraiment exagéré. Mais il avait beaucoup de distinction naturelle et une certaine allure, d’homme bien élevé qu’il retrouva en se vêtant de façon convenable et qui attira sur lui l’attention.

Plusieurs policemen le regardèrent même avec une insistance d’où le soupçon n’était pas exclu. C’était une figure qu’on n’avait jamais vue dans le faubourg et qui contrastait avec la population courante.

D’où venait-il ? Que faisait-il ?

À la taverne, où il se fit servir une grillade et une pinte d’ale, il fut l’objet de réflexions curieuses qui l’inquiétèrent dans son dessein de passer inaperçu.

« Décidément, pensa-t-il, il est difficile de ne pas être remarqué… »

Ce fut bien autre chose quand il voulut, le soir, chercher son gîte. Dans les hôtels bon marché, où il alla se présenter, on lui répondit que toutes les chambres étaient occupées.

Et ce n’est que fort tard qu’il finit enfin — ayant usé d’un moyen qu’il trouvait ridicule, c’est-à-dire enfonçant son chapeau jusqu’aux yeux et en relevant sur ses oreilles le col de son veston comme s’il voulait cacher un linge douteux — par trouver un matelas dans un méchant cabinet.

Au cours de la nuit, il réfléchit.

Retourner dans les quartiers du centre,