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Épisode 10

La vengeance de Sam Smiling

XXX

La restitution


Les paroles de Sam Smiling avaient produit sur Florence, malgré toute la force d’âme de celle-ci, une impression de terreur insurmontable.

Elle n’était pas absolument certaine que l’abominable bandit ne mettrait pas à exécution ses menaces, quitte à se perdre lui-même. Florence était obligée, en tout cas, de le ménager, en attendant de trouver le moyen de s’en débarrasser, et cette protection qu’elle devait accorder à un être qui lui faisait horreur et qu’elle méprisait révoltait la fière jeune fille.

Florence dormit peu et mal cette nuit-là. L’idée que le bandit était dans l’habitation lui était affreusement pénible. Il lui semblait que toute la maison en était déshonorée à jamais. Elle songeait à la stupeur, à l’affolement, à l’épouvante de Mme Travis, au cas où cette dernière découvrirait la présence du misérable.

Très tard, le sommeil gagna la jeune fille, mais un sommeil traversé par de douloureux cauchemars. Elle voyait Blanc-Castel devenant le théâtre d’horribles scènes de violence, elle voyait Max Lamar aux prises avec Sam Smiling, Mary affolée et Mme Travis évanouie. Elle voyait arriver tous les personnages du drame que la fatalité héréditaire, qui pesait sur elle, lui faisait vivre depuis quelque temps : Randolph Allen, Gordon, Silas Farwell, Bauman, Ted Drew… tous survenaient soudain, paraissant et disparaissant avec le caprice du rêve. Une nuée de policiers s’abattait sur la maison ; ils perquisitionnaient, interrogeaient Florence, la harcelant de questions, lui saisissant la main pour y voir la marque fatale que, maintenant, elle ne pouvait plus cacher et qui brillait comme une flamme rouge et dévorante jaillissant jusqu’au ciel.

Elle poussa un cri et ouvrit les yeux.

L’aube commençait à poindre et les lueurs blanchâtres du jour naissant ne faisaient qu’à peine pâlir la lumière du plafonnier électrique qu’elle avait laissé brûler par mégarde.

Elle l’éteignit, se leva vivement, passa un peignoir et ouvrit la fenêtre toute grande.

À larges bouffées, l’air entra avec l’odeur des fleurs fraîches et le chant des oiseaux.

Florence aspira la vie matinale de la nature et secoua les cauchemars nocturnes. En quelques minutes elle eut recouvré le parfait équilibre de ses facultés. Sa pensée redevint claire et sa vision nette.

— Il faut, se dit-elle, que j’aille ce matin même remettre aux ouvriers de la Coopérative Farwell l’argent que leur directeur retenait frauduleusement.

Elle sonna, et ce fut Mary qui parut, car, maintenant, la fidèle gouvernante s’occupait exclusivement de son enfant chérie.

— Ma chère Mary, il faut donner immédiatement des ordres à l’écurie pour que Trilby soit sellé et qu’on me l’amène devant la grille. Toi, tu vas m’aider à revêtir mon costume de cheval.

Mary ne fit pas un mouvement.